Les Valseuses, café-concert historique, fermé par la Ville

Politique culturelle / Les Valseuses, café-concert mythique des Pentes de la Croix-Rousse, est fermé depuis deux mois à la suite d’un arrêté municipal.

« Ils [la police] ont débarqué aux Valseuses, à une petite quinzaine, en plein milieu de la soirée, avec un déploiement de sept ou huit voitures. On aurait dit qu’il y avait eu un attentat. Quelques jours plus tard, au tour des voisins, l’Ambuscade. Un policier est entré en civil, a payé sa carte de membre. Puis des voitures sont arrivées : contrôles d’identité, des contrats de travail, ils ont fouillé les vingt clients qui n’ont rien compris, et ont embarqué les bénévoles sous motif de travail dissimulé. Fermeture administrative, même histoire, alors que tout est en règle. Quelques jours plus tard, prétextant “juste un truc à voir”, une équipe est revenue avec l’écologie urbaine, le service sécurité, incendie, la BAC, pour faire fermer le bar. »

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Voilà comment, le 28 février, Mouz, le patron des Valseuses a dû fermer le rideau de son bar, à la suite d’un arrêté municipal signé par l’adjoint en charge de la Tranquillité publique et de la sécurité à la Ville de Lyon, Mohamed Chihi. Fermeture administrative, sans mise en demeure préalable. Motif invoqué ? L’état des locaux qui compromettrait « gravement la sécurité du public et fait obstacle au maintien de l’exploitation de cet établissement. » Stupeur du gérant qui apprend lors du contrôle la requalification exprès de son établissement, les services changeant l’ERP de catégorie 5 type N (équivalent d’un bar) à catégorie 4 type L (lieu de concert avec une jauge allant jusqu’à 300 personnes). Une décision qui interroge. Bien plus expéditive que, par exemple, les procédures à rallonge visant à obtenir la fermeture, très temporaire, des lieux de l’extrême-droite dans le Vieux-Lyon

Mouz conteste ce changement : « sur les Pentes, on a tous les mêmes ERP depuis des années. Aux Valseuses, tu viens boire ta bière sans payer d’entrée, tu regardes ce qui se passe, tu t’en vas. C’est un bar. Libre d’accès, autofinancé. On a une toute petite jauge, qui a été gonflée arbitrairement dans le rapport, prenant par exemple en compte la surface de la scène pour accueillir le public. Pour le public j’ai exactement 22, 7 m2.  Je cherche bien où ils mettent les 135 personnes [évaluées dans le rapport]. Or, si tu mets des gens sur la scène, ça veut bien dire qu’il n’y a pas de concert. Si il n’y a pas de concert, ça veut bien dire que c’est un bar. » Avec cette nouvelle catégorie d’ERP, le responsable se voit dans l’obligation de faire une demande de travaux avec un maître d'œuvre certifié, avec « 200 pages de CERFA, pour installer… un nouvel extincteur ». Il essaye pourtant de se plier à cette injonction.

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Coup de bambou supplémentaire : sous le coup d’une fermeture administrative ordonnée par la Mairie (et non de la Préfecture), le bar s’est vu refuser sa demande de chômage partiel et donc la prise en charge des salaires de ses six employés. Pendant cette bataille administrative, le temps file, le lieu souffre. En parallèle, Mouz a entamé une procédure en justice pour contester la décision de fermeture administrative sans mise en demeure. L’audience au Tribunal administratif de Lyon est programmée le mardi 25 avril.

Politiquement, l’inertie

Côté politique, chacun semble se renvoyer la balle, dans une drôle d’inertie. « Yasmine Bouagga (maire du 1er arrondissement), son adjoint Jean-Christian Morin (ville apaisée) et Nicolas Barnier (directeur de cabinet de la maire du 1er) m’assurent de leur volonté de rouvrir les Valseuses le plus rapidement possible et me disent qu’ils font le nécessaire auprès de la Mairie centrale », lâche Mouz, désabusé.

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« Ce n’est pas ce que nous avions anticipé, assure Yasmine Bouagga. Nous avions anticipé d’avoir des éléments permettant de remettre en conformité le lieu — ensemble. J’étais moi aussi étonnée d’avoir ce résultat dans le rapport et je souhaite que ce soit résolu rapidement. Nous reconnaissons la contribution majeure du lieu à la scène musicale locale, pour les artistes professionnels comme amateurs. » À la question du changement brutal de qualification du lieu (ERP), la maire poursuit : « à la suite des plaintes pour nuisances, il a fallu objectiver et constater. C’est un travail administratif des services ERP. Les problématiques identifiées par les services étaient telles que cela a entraîné un arrêté. Nous sommes ensuite liés par cela. Le patron fait preuve de bonne volonté, et met en conformité un certain nombre de choses. Il n’y a pas de souhait politique de le faire fermer. »

« En attendant, se désole Mouz, je remplis des dossiers de demande de travaux à vide, avec des procédures qui s’étendent. Et rien ne bouge. »

Meï Teï Shô en concert au Bistroy en 1998 © Sébastien Broquet
Meï Teï Shô en concert au Bistroy en 1998 © Sébastien Broquet

Du Bistroy aux Valseuses, un café-concert historique

Motivé initialement par les plaintes insistantes d’un voisinage procédurier et un article du Progrès ayant alarmé la Ville, ce contrôle questionne l’aspect plus purgatif que prévu du plan “ville apaisée” de la Mairie verte. Comme sur la gentrification d’un quartier historiquement turbulent, dynamique, innovant, où nombre d’artistes lyonnais ont débuté : à l’instar du Peuple de l’Herbe (auréolé d’une Victoire de la Musique) à peu près tout ce qui sortait du label Jarring Effects, mais aussi High Tone, Meï Teï Shô et Benjamin Biolay ont fait leurs premières scènes au Bistroy, alors tenu par Guy-Pierre Turco. Le Bistroy, devenu depuis Les Valseuses. Quel impact auront ces fermetures sur la scène émergente lyonnaise ?

« Je suis ébouriffé qu’ils reviennent douze ans après le combat que j’ai mené pendant quinze ans, face à l’équipe Collomb qui pourtant m’avait finalement adoubé, cautionné, labellisé. Dans les années 2000, on est rentré dans des débats de conformité, on a été accompagné par le service Écologie urbaine de la Ville de Lyon, donc on sait qu’en termes d’insonorisation ce lieu est parfaitement isolé : il y a un sas d’entrée, le bar était classé en catégorie recevant un peu moins de 100 personnes. Mouz a repris le manche après moi avec toutes les précautions que je lui avait suggérées. Je l’ai accompagné pendant trois ans, il en a fait quelque chose de crédible. On tape sur quelqu’un qui fait les choses correctement ! Ça fait 27 ans que ce lieu fait du concert de proximité, promeut la culture, et d’un coup il passe pour un paria ! Les lieux de vie qu’on a connus à l’époque disparaissent les uns après les autres. En termes de café-concert, il ne reste plus rien. Louise Attaque, passés à la Halle Tony-Garnier récemment, se rappelaient pourtant encore de la semaine de concerts dingues qu’on avait organisé avec eux dans les années 1990. Il y a une volonté d'aseptiser les Pentes de la Croix-Rousse qui, il y a trente ans, comportaient une densité de licences 5 au km2 plus importante que Barcelone et Berlin. On investissait ce quartier pour sa mixité culturelle, pour son dynamisme ! » déplore Guy-Pierre Turco, le fondateur du Bistroy. 

À qui le tour ?

« Quand je les ai vus débarquer en face, je me suis dit que les prochains, ce serait nous » s’inquiète Franck Guscioni, directeur du Kraspek Myzik. Yves Benitah, conseiller culture du 1er arrondissement, se veut rassurant : « nous sommes dans la médiation, notre but est d’être auprès des acteurs, notamment des plus petits. Il faut rassurer tout le monde, on est là pour défendre ce tissu-là. » Autrefois habitées par les canuts, les Pentes ont toujours été animées. Et si les cadres remplacent les ouvriers, certains lieux historiques résistent. Quant aux élus, ils composent entre le mode de vie de riverains fraîchement débarqués (et les protestations qu'il provoque) et les anciens bien installés. Pour Mouz, « le problème, c’est qu’on a plutôt tendance à écouter cinq personnes qui montent un collectif pour faire fermer les lieux, et invisibiliser ainsi une majorité silencieuse en paix avec l’ambiance de son quartier. » Majorité qui s’élève tout de même déjà à 5 385 signataires (au lundi 24 avril) de la pétition lancée contre la fermeture des Valseuses, tentant, à sa manière, de faire perdurer une mobilisation politique caractéristique du quartier. Dont plusieurs artistes émus par la fermeture d’un lieu les ayant soutenus à leurs débuts.

« La culture c’est toujours cool, tant que ça ne dérape pas et qu’elle ne fait pas de remous, regrette Franck Guscioni. Mais la culture est là pour déraper, elle est là pour poser des questions, pour foutre la merde ! Autrement, tu fais du yoga et tu roules sur les pistes cyclables. Les Pentes, c’est un quartier remuant et ça l’a toujours été. Chaque semaine, on accueille des groupes du monde entier. Tous veulent revenir jouer ici, ils adorent le quartier. On rayonne au niveau international, mais au niveau local, c’est la défaite ! » Le patron du Kraspek Myzik s’inquiète d’une généralisation de la situation, dramatique pour le patrimoine culturel et économique de la ville. Autant que pour ses scènes découvertes, ses artistes émergents, son identité, son rayonnement…

« Notre objectif politique est qu’il puisse y avoir cette vie culturelle dans les Pentes, y compris dans des lieux qui ne sont pas toujours complètement dans les clous, mais c’est comme cela que ça se crée. On est quand même contraints en termes de responsabilité et c’est un équilibre, qui a été brisé par cette concentration de trois lieux [NdlR : Les Valseuses, L’Ambuscade et le bar clandestin] qui ont amené à ces contrôles » précise Yasmine Bouagga.

Jérôme Laupies, co-directeur du producteur de concerts Mediatone, connaît par cœur cette scène et les enjeux d’une telle fermeture. « Les Valseuses est un lieu emblématique et hyper important dans la chaîne de la musique lyonnaise. Il s’y passe toujours quelque chose. Ces lieux font partie du charme du quartier. Si on les ferme, ça devient un quartier différent. Ceux qui sont venus pour cet attrait-là diront que c’était mieux avant et finiront par partir.» 

Pas de médiation

« Je ne minimise en rien les soucis que peuvent rencontrer les riverains, mais on dirait qu’il n’y a eu aucun dialogue en amont avec la Ville et la Mairie d’arrondissement, s’étonne de son côté David Kimelfeld, conseiller et ancien Président de la Métropole de Lyon. En tant qu’ancien maire du 4e, ayant aussi constaté comment fonctionnait Nathalie Perrin-Gilbert, mon homologue sur le 1er, on essayait toujours d’être dans un rôle de médiation pour les questions de nuisances sonores — ce qui n’est jamais agréable, car il faut trouver des solutions aux uns et aux autres. Il semblerait ici que la Maire ait réceptionné les plaintes et diligenté les services pour faire un travail exploratoire, sans dialogue préalable. »

Paradoxal pour des élus qui prônent la démocratie participative, ou comme Mohammed Chihi — qui s’était exprimé à la suite des dégradations à la Mairie du 1er le lundi 17 avril 2023 —  encouragent « la désobéissance civile, mais pas la violence », tout en envoyant la police fermer un café-concert qui affiche presque trente ans d’existence. De la même façon, « le maire fait de grandes déclarations sur l’extrême-droite, il serait le dernier rempart… Bien ! Pourquoi ne pas mettre autant d'énergie qu’il met sur Les Valseuses, sur ces établissements-là ? On sait bien qu’un maire n’a pas tous les pouvoirs sur les lieux identitaires, mais il a au moins celui d’y aller franco sur les sujets de fermetures administratives » assène David Kimelfeld. 

Interrogée, l’adjointe à la Culture de la Ville et ancienne maire du 1er arrondissement, Nathalie Perrin-Gilbert, nous affirme sobrement « reconnaître tout à fait la place des Valseuses dans l’écosystème culturel et musical à Lyon. Je souhaite que l’on puisse trouver une solution entre les différents services de la Ville pour les Valseuses. »

Pas la bonne cible

Plusieurs témoins signalent une méconnaissance des acteurs culturels du quartier de la part de la mairie du 1er, telle qu’elle aurait pu conduire à une "erreur d’aiguillage". Le bar des Valseuses ne serait pas celui qui était visé initialement. À l’angle de la rue, en face, un bar clandestin agissant hors de tout cadre, organisant des soirées pirates dans sa cave, serait à l’origine de plaintes à répétition des riverains. « Quand la maire Yasmine Bouagga est venue aux Valseuses quelques jours après la fermeture pour dialoguer, elle cherchait la cave qui héberge les soirées dans mon bar... Dommage, car moi, je n’ai pas de cave ! » ajoute Mouz. 

L’Ambuscade, à côté, est l’un des derniers lieux de nuit en centre-ville. « On pousse les gens à s'expatrier à l’autre bout de la ville. Si ce n’était pas assez aux normes, pourquoi ne pas les accompagner au maximum pour une mise à niveau au lieu de jouer la montre ? Moins on autorise les organisations officielles à faire des soirées, plus il y aura d'organisations pirates », prédit Jérôme Laupies.

La maire de l’arrondissement confirme que « le contrôle est arrivé suite à un article du Progrès sur des rave parties clandestines. Elles n’étaient pas organisées aux Valseuses, mais dans le même bâtiment. Avant la descente de police, ce n'était pas clair de savoir qui organisait ces rave parties dans les caves. Le contrôle a identifié différentes structures et problématiques de sécurité. »

Quelques jours plus tard, le bar sans licence était fermé à son tour par la Ville. « Je ne comprends pas pourquoi la Mairie d’un arrondissement n’est pas au courant des activités d’un café-concert comme les Valseuses, assène Guy-Pierre Turco. Je crois qu’ils se sont trompés de sujet, ils sont à côté de la plaque. »

Soirée de soutien aux Valseuses
Au CCO de Villeurbanne le jeudi 11 mai

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