Nathalie Perrin-Gilbert : « Se priver du musée Guimet c'est rayer Lyon de la carte »

Entretien / Paroxysme d’une situation explosive qui couvait depuis des mois, le 13 mai dernier, l’adjointe à la culture Nathalie Perrin-Gilbert a été débarquée par la majorité écologiste de la Ville de Lyon. Sa ou son successeur(e) devrait être annoncé(e) le 30 mai prochain. Musée Guimet, CRR, labels UNESCO et EAC quelles sont les casseroles laissées sur le feu à la culture ? Bilan avec l'ex-adjointe.

Quelles ont été les priorités de la Ville en matière de culture durant votre mandat ?

Dès ma prise de poste, le maire m’a demandé de lui fournir une feuille de route solide, que j'ai articulée autour de trois axes majeurs : la création, la transmission et la coopération. Pour soutenir la création, on a beaucoup pensé et amélioré les conditions de rémunération des artistes en s’assurant du versement des cachets, en revalorisant des salaires, comme ceux des musiciens de l’ONL. 

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J'ai pris mon poste en pleine crise Covid. Au-delà d’une crise, c’était une situation durable dont on ressent les impacts encore aujourd’hui. À l'époque nous avions débloqué un fond d'urgence pour la culture de 4 millions d'euros. Cela nous a permis de poser les premières bases d’une véritable politique de service public. À l’instar de celle menée par Denis Trouxe [sous le mandat de Raymond Barre, dès 1995 ndlr]  à qui on doit la naissance des Subs, ou Patrice Béghain [adjoint à la culture du premier mandat de Gérard Collomb de 20021 à 2008 ndlr] qui a beaucoup fait pour l’organisation politique publique. Lyon a vécu sur cet héritage, sans transformation en profondeur pendant une quinzaine d’années. On a plutôt assisté à une événementialisation de la politique culturelle, on a privilégié des moments forts, de la communication sans doute au détriment du renforcement des bases des politiques culturelles, et d’un manque de lisibilité de la politique publique. 

Il était notamment question d'augmenter les résidences, et même de sanctuariser des logements ?

Je n’ai pas réussi à installer autant de logements pour les artistes que je l’aurais souhaité mais nous avons tout de même réussi bon nombre de choses. À la marge, on a fait rajouter deux studios de logement dans le programme des Ateliers de la danse. De même pour le dernier étage du Musée de l’imprimerie. J’aurais aimé aller plus loin avec les bailleurs sociaux de la Métropole, ainsi qu’avec la Villa Gillet, en rénovant tout un étage pour accueillir des autrices et auteurs du monde entier. On a aussi démultiplié les lieux de travail, de création dans la ville, comme ce fut le cas pour la friche Lamartine.

Qu’en est-il de l’accessibilité à la culture pour le plus grand nombre ?

Nous avions un point de débat avec le maire. Je voulais dépasser les seules écoles pour rendre l’excellence artistique accessible au plus grand monde. Nous avons donc mis en place des dispositifs ambitieux dans les crèches, les hôpitaux, aux domiciles des personnes en fin de vie, dans le milieu carcéral. Par exemple, et pour la première fois en 2024, nous avons lancé un projet d’éducation aux médias avec le Club de la presse et le centre Léon Bérard.

Nous nous sommes donnés pour objectif de porter une grande attention, non seulement aux territoires classés "politique de la ville", mais aussi aux autres. Nous avons donc demandé à toutes les institutions culturelles de la ville de dresser un bilan des enfants touchés par leurs actions d’éducation culturelle, et imaginé comment mobiliser ces publics avec elles. 

Finalement, nous avons favorisé la coopération entre institutions culturelles, à l’échelle locale, mais aussi à l’échelle internationale. Nous avons besoin de résidences croisées avec d’autres villes et d’autres pays. Nous étions menacés de perdre le label UNESCO de "ville numérique" car nous ne coopérions pas assez sur ce point, et c’est tout naturellement qu’on a obtenu celui de "ville littérature". Je ne voulais pas d’une culture rabougrie, centrée sur elle-même. La culture doit forcément être synonyme de coopération.

La Ville est entrée dans le réseau des villes créatives UNESCO en littérature, et a aussi obtenu le label d'éducation artistique et culturelle (EAC), qui est attribué aux collectivités proposant une éducation artistique et culturelle pour 100% des jeunes du territoire. À quoi cela l’engage-t-elle pour l’avenir ?

Ça n’a pas été facile de convaincre l’UNESCO de nous accorder le label de Ville littérature après avoir été aussi peu convaincants avec celui de Ville numérique. Il en va de même pour le label d’éducation artistique et culturelle, on me disait que ce serait trop compliqué car le territoire compte trop d’enfants. 

On a réussi à convaincre, mais, en 2028, si le bilan est moins positif qu’en 2023, et si on n’a pas mis les moyens nécessaires, on perdra le label EAC. De même que dans quelques années, l’UNESCO pourrait nous éjecter pour de bon. Ces titres ne sont pas des trophées dont on se gargarise, mais des engagements à tenir, et c’est très bien comme ça.

Sous votre mandature, la Métropole a (par exemple) cessé de conventionner la Ville pour gérer la Chapelle de la Trinité pour la gérer en direct : quelle lecture faites-vous de l'équilibre Métropole — Ville ?

La Ville de Lyon ne fait pas assez valoir son rôle vis-à-vis de la Métropole. Il y a une tentation de la Métropole d’équiper d’autres lieux, et ce, parfois au détriment de Lyon. Je regrette encore la fermeture de Fagor, de la Halle Debourg. On devrait être plus aidés dans notre politique d’éducation artistique et culturelle. 

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Au-delà de la simple relation Métropole-Ville, on aurait dû demander plus d’argent dans les Contrats de plan État-Région : Laurent Wauquiez a réussi à y inscrire le Musée des tissus. On aurait dû y inscrire les Ateliers de la danse, le musée Guimet. Lyon ne fait pas suffisamment entendre sa voix auprès de l’État, de la Région et de la Métropole. On a pourtant un rang à tenir.

Où en était le projet de réhabilitation du Musée Guimet à votre départ ? Pourquoi l'avoir annoncé prématurément ?

J’ai été autorisée par le maire à travailler sur la réouverture du musée Guimet depuis quelques temps déjà. Grâce à un leg d’un million d’euros, on a pu flécher 500 000 euros pour le musée Guimet, et penser son avenir, épaulés par la Biennale d’art contemporain.

Le SDMIS [sapeurs-pompiers de la métropole de Lyon et du Rhône ndlr] ne nous autorisait plus à programmer des ouvertures exceptionnelles, donc on a chiffré à combien pouvaient monter les travaux et on a commencé à programmer une première exposition inédite appelée Le musée sentimental dans le cadre de la fermeture du musée Pompidou à Paris.

On devait y mêler les œuvres lyonnaises et parisiennes ; c’était une exposition qui permettait au musée de vivre pendant les travaux. Les rénovations étaient estimées à 2 millions d’euros, et l’exposition à 2 millions aussi. On avait estimé des recettes de billetterie à pas moins d’un million d’euros, et même commencé à envisager une circulation de l’exposition permettant là aussi d’amortir son coût initial.

Ces projets n’avaient, — à mon sens — rien de secret. L’autorisation de communiquer avait été donnée à Pompidou dès janvier, et le musée a publié sur leur site une cartographie de leurs futurs emplacements au cours des cinq prochaines années dès ce moment-là, incluant Lyon. Libération avait même publié un article De Lyon à Shanghai, le centre Pompidou se projette hors-les-murs le temps de sa rénovation.

C’est techniquement et budgétairement jouable en 2025, je suis allée au bout de ce que je pouvais faire en tant qu’adjointe à la culture. Se priver du musée Guimet, c’est rayer Lyon de la carte.

Vous avez lancé deux audits au Conservatoire à rayonnement régional l’année dernière, et n’avez pas souhaité prolonger le CDD de son directeur de 67 ans, Gery Moutier, provoquant les foudres de la majorité. Que s’est-il passé au CRR ?

J’ai effectivement lancé un premier audit de risques psychosociaux, et demandé à ce qu’un second, sur le fonctionnement général (budget, gouvernance, gestion du parc instrumental et informatique…), soit lancé.

D’une part, côté budget on a eu des conditions de réalisation budgétaire très laborieuses, liées à des problématiques de process internes au sein desquels je cherchais à voir clair depuis des mois. En décembre dernier, à moins de dix jours du débat d’orientation budgétaire 2024 que j’ai présidé, j’ai reçu des mails comme quoi les chiffres du budget n’étaient pas bons. On nous a par la suite présenté de nouvelles constructions budgétaires tous les mois. Finalement, on a découvert que ceux-ci étaient dans le positif, mais au prix de mois d’incertitudes nous faisant croire à l’éventualité d’un déficit. Je n’ai qu’un seul regret, celui de n’avoir pas demandé dès mon arrivée un audit général de fonctionnement. 

Si j’avais eu connaissance de l’ampleur de la tâche... Il n’y avait pas de critères d’évaluation des professeurs, pas d’inventaire non-plus, il n’y avait même pas de personne en charge des ressources humaines, je l’ai recrutée en 2022. La médecine du travail était déjà intervenue plusieurs fois, il y avait eu des alertes du F3SCT [formation spécialisée en matière de santé, sécurité et conditions de travail ndlr].

Le CDD de trois ans pour lequel j’avais engagé Géry Moutier devait s’achever le 13 mai. Il souhaitait un renouvellement. Je lui ai demandé de m’écrire un bilan, que j’ai jugé insuffisant, notamment dans sa forme.

En avril, lorsque je me suis opposée à sa reconduction pour un an, l’exécutif métropolitain ne m’a pas suivie alors qu’ils ne m’avaient pas exprimé de désaccord auparavant. Je n’arrive toujours pas à me l’expliquer. Normalement, quand on fait partie d’une même majorité on vote ensemble le compte administratif budgétaire.

Envisagez-vous de vous rendre au prochain conseil municipal, le 30 mai ?

Je serai là car je suis quelqu’un qui assume. Je ne serai cependant pas dans un esprit de règlement de compte. L’enceinte municipale n’est pas une cour de récréation, et bien sûr que j’aurai une parole politique, pour donner des éléments d’éclairage.

Au niveau national, on se dirige vers une crise majeure du secteur culturel, avec des salles et des lieux qui vont être en grande difficulté. Il y aura moins de spectacles achetés, moins de coproductions, c’est une crise qui viendra impacter directement l’emploi des techniciens et des artistes. Lyon doit rester une ville refuge pour la création, demandant d’être vigilant(e) aux conditions de vie des artistes. C’est ça la question qui va se poser demain. Lyon tirera mieux qu’ailleurs son épingle du jeu, si l’exécutif — quel qu’il soit — ne s’acharne pas à détricoter ce qu’on a tissé consciencieusement pendant quatre ans.

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