Déclic… et des claques ! Retour sur les Rencontres de la photographie d’Arles (3 juillet- 19 septembre 2010)

Avec ses 60 expositions de photographie présentées jusqu’au 19 septembre prochain, les Rencontres d’Arles proposent un panorama assez hétérogène de cet art indispensable mais à la croisée des chemins à l’ère du numérique. Zoom non exhaustif, mais forcément subjectif, entre coups de coeurs et coups de gueules…

“Du lourd et du piquant”. Ainsi était résumée la programmation éclectique du festival de photographie de la ville d’Arles. C’est un doux euphémisme de dire que le choix du rhinocéros comme emblème de cette édition 2010 fut approprié si l’on en juge par le contraste entre les travaux présentés par des artistes tantôt reconnus ou inconnus, talentueux ou prétentieux. Flash-back…

Samedi 24 juillet, Arles, 17h. L’heure de plier bagage a sonné après un marathon de près de sept heures à courir d’une salle d’exposition à une autre, entre le centre ville d’Arles et le parc des ateliers, le centre névralgique de la 40e édition des Rencontres de la photographie. Sept heures, c’est bien sûr nettement insuffisant pour tout voir, mais cela permet déjà de se forger une opinion. L’objectif de mon trop court séjour ? Voir le maximum de photographies en un minimum de temps. Mission accomplie. Et pour quel résultat final ? Plusieurs déclics immédiats pour des photographes inventifs, à la démarche artistique à la fois pertinente et séduisante. De quoi rester admiratif, qu’il s’agisse d’une œuvre relativement naissante (Paolo Woods par exemple), de la rétrospective sur une carrière exemplaire (Claude Gassian) ou d'un concept original (comme ces 100 clichés des membres d’une même famille allemande pris pour évoquer le temps qui passe de 0 à 100 ans). D’autres, en revanche, mériteraient plutôt des claques, voire d’être jetés avec l’eau du bain, et tant pis si c’est violent et très prétentieux de porter un tel jugement, surtout quand on est qu’un simple “appuyeur sur un bouton d’appareil photo numérique” comme moi. Vous “verrez” pourquoi plus tard… S’il s’avère périlleux de dresser un classement entre des dizaines d’expositions, trois d’entre elles ont imprégné mes rétines. Une autre image de l’Iran Tout d’abord, le travail remarquable du photographe-reporter hollandais Paolo Woods m’a vraiment séduit par sa capacité à donner une tout autre image de l’Iran, que celle véhiculée par les médias traditionnels. À travers une série de portraits en grands formats, le public découvre ainsi que certains des habitants de ce pays sont beaucoup plus ouverts qu’on ne l’imagine. Saviez-vous par exemple que c’est au pays d’Aminedhjad que le taux d’opération du nez est le plus important ?! Surprenant dans une région où le corps, des femmes en particulier, est caché la plupart du temps… La seconde partie de l’exposition est consacrée au traitement de l’actualité politique iranienne (à savoir les manifestations dénonçant le résultat des élections de 2008, ndlr). L’auteur évoque les tentatives de manipulation de la part des autorités puis la riposte des manifestants via Internet, Twitter et compagnie. Bref, Woods livre une vraie réflexion sur l’avenir du métier de photo-reporter ô combien nécessaire en ces temps où l’info et les images circulent toujours plus vite… Si Internet facilite, en principe, une diffusion plus rapide des clichés pris à l’autre bout du monde, l’avènement du tout numérique peut conduire également à des dérives plus ou moins dangereuses, de la simple retouche avantageuse d’une silhouette à la manipulation pure et simple par le recadrage, le détournement d’une photographie. Entre modèle économique à trouver et déontologie à respecter, voilà un métier à la croisée des chemins…

Au bon endroit, au bon moment

Claude Gassian appartient à cette catégorie de photographes “the right man at the right place” : “au bon endroit, au bon moment”, comme disent les Américains. Sa rétrospective donne la chair de poule tant il a pu immortaliser, depuis les années 1970, un nombre incroyable d’artistes majeurs français et étrangers, en studio ou sur scène : les Stones, Lenny Kravitz, Bashung, Springsteen, Bowie, etc. À voir absolument pour admirer son sens de la mise en scène et son inspiration en “live”… Claude Gassian, un déclencheur de vocation. Argentique ? Non, Argentin ! Mon troisième et dernier coup de coeur concerne le photographe argentin Marcos Lopez, mis à l’honneur dans la Promenade argentine, l’un des circuits d’expos proposés par les Rencontres. Adepte des grands formats, cet artiste témoigne d’une maîtrise absolue de sa technique qui lui permet d’osciller entre des vues hyper réalistes (celle d’un boxeur en sueur est tout simplement magistrale) et des œuvres à la frontière de la peinture, comme cet homme-sirène bluffant ou cette représentation pour le moins particulière de la Cène montrant des personnages autour d’un barbecue. Audacieux et plein d’humour. Un talent authentique à suivre de (très) près…

À voir aussi…

Bien entendu, une multitude d’autres expos valent le détour : la rétrospective du laboratoire Picto, célébrant le 60e anniversaire de sa création, celle intitulée “Prisons, derrière le mur des idées reçues”, qui jette un regard lucide et inquiet sur l’état de ces lieux de privation de liberté et de ceux qui y vivent ; ou encore “The Innocents”, signée Taryn Simon. Cette jeune New-Yorkaise a choisi de montrer, sur les lieux mêmes de leur arrestation, des individus condamnés à de lourdes peines de prison pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Cette démarche très forte redonne toute leur humanité (mais cela n’effacera pas le mal qui leur a été fait) à ces malheureux trouvés, eux, “au mauvais endroit au mauvais moment”. Magistral.

On peut s’en passer…

Dans la rubrique “Fermez les paupières”, plusieurs artistes-photographes décrochent en revanche le pompon à mes yeux. Difficile en effet d’être ému par les séries de photos sombres de Peter Fischli et David Weiss : la scénographie fainéante (des cadres poses à plat sur des tables à la verticale de néons affreux, ndlr) fait qu’on distingue mal l’ensemble des sujets morbides représentés : des rats, des squelettes, la Mort. “Circulez, y’a rien à voir”, aurait dit Coluche…

Dans un tout autre style, Anne Collier et Liz Deschenes font “fort” elles aussi. Sur les huit œuvres de la première, on trouve pêle mêle deux couvertures identiques d’un même magazine américain de mode, une boîte de photos donnant sur la mer à perte de vue ou encore un extrême gros plan sur un œil. Quel intérêt, franchement ? Seul un superbe coucher de soleil retient l’attention : c’est bien trop peu. Quant à Liz Deschenes, elle devait souffrir d’une terrible panne d’inspiration avec seulement trois œuvres à son actif et peu stimulantes : il s'agit de sortes de paysages monochromes et insipides. Cerise sur le gâteau : la lecture de sa démarche “artistique” donnerait de sacrées migraines à l’inventeur de l’aspirine. À moins que je ne sois trop bête pour comprendre de l’art contemporain ; c’est aussi possible…

“Untitled”

Enfin, certaines expositions agacent par la futilité de leur contenu entre photos floues de paysages urbains (Darius Khondji) et objets de la vie courante (châteaux de cartes, mobiliers, champs de tournesols, etc.). Quel peut être le concept novateur, l’originalité, le message de ces photos ? Mystère. Comment interpréter par ailleurs cette exaspérante manie d’appeler une œuvre “untitled” ? Est-ce pour signaler une photographie dont la beauté est à couper le souffle (ça arrive)… ou plutôt un aveu d’impuissance ? Impuissance de l’artiste à exprimer ce qu’il veut dire, voire de trouver quelque chose d’intéressant à dire… Bien entendu, chacun voit midi à sa porte et je ne serais pas surpris que d’autres crient au génie ou applaudissent à la performance technique là où je n’ai vu que prétention, égocentrisme et/ou absence de sens. Je sais, il faut faire preuve d’“ouverture” avec l’art, qui plus est contemporain, mais que voulez-vous, quand ni la rétine, ni le coeur ne s’enflamment en voyant une photographie, c’est qu’il y a un problème quelque part, non ? À moins qu’à confondre vitesse et précipitation durant mon périple arlésien, je n’aie manqué de… sensibilité. Allez savoir ! Hors champ visuel En parallèle aux expositions, de nombreuses animations sont prévues dans toute la ville : rencontres, colloques et débats avec des professionnels, stages payants, projections nocturnes, etc. Bref, y’a pas photo, si vous aimez la photographie, vous trouverez facilement matière à stimuler votre intérêt. Passionnés actifs ou juste contemplateurs de photographie, vous avez donc jusqu’au 19 septembre pour aller jeter un œil – et même les deux- aux Rencontres d’Arles, l’un des festivals majeurs consacrés à cet art ô combien délicat de capter pour l’éternité un instant, une émotion, de témoigner de l’état du monde, voire de servir une cause. À vous de voir !

Bruno Sleepless

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Le pass “journée” permet de voir toutes les expositions. Tarif : 26 euros, en vente à l’office du tourisme d’Arles. Tél. 04 90 96 76 06 www.rencontres-arles.com

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