Ce que dit Buster
Hommage à Buster Keaton à l'Institut Lumière, l'autre figure mythique du cinéma muet hollywoodien, dont la "rivalité" avec Chaplin se régla auprès du public à l'aune du parlant, mais pas pour les cinéphiles qui continuent à le révérer.Christophe Chabert
La postérité de Buster Keaton n'en finit plus de rebondir. On se souvient, jeune cinéphile, d'un de nos premiers débats : Chaplin ou Keaton ? Comme si les deux se vouaient une haine par-delà la tombe, haine purement légendaire et strictement artistique puisque les deux étaient au contraire très liés dans la vie. Buster Keaton, c'est l'invention d'un corps unique : un visage dont la tristesse absolue provoque l'hilarité quand on le plonge dans des situations incontrôlables, une souplesse infinie qui lui permet de se couler dans un décor pour ne faire plus qu'un avec lui. Le décor est d'ailleurs toujours essentiel dans le cinéma de Keaton (première opposition avec Chaplin, pour qui il n'a longtemps été qu'une convention) : c'est la force du Mécano de la General, qui s'aventure avec courage hors des studios pour aller filmer d'authentiques décors naturels. Car si Keaton est un acteur fabuleux, c'est aussi très vite un cinéaste visionnaire, qui prend une longueur d'avance sur les techniques employées et se soucie autant du cadre que de la manière dont il allait le remplir de péripéties comiques.L'homme à la caméraEn cela, Buster Keaton est tout de suite un "metteur en scène", alors que Chaplin se voit plutôt en artiste de music hall propulsé devant la caméra. Très tôt, il met ce rôle en abîme avec Sherlock Junior, où il joue un projectionniste qui s'imagine dans la peau d'un détective ; et pour son dernier grand film, Le Cameraman, il se retrouve à nouveau des deux côtés de l'objectif. De l'un à l'autre (et ce en moins de quatre ans !), Keaton gagne une souveraineté créative, une assurance face au medium qui le rapproche finalement plus d'un Von Stroheim que des artisans du slapstick muet. Un double virage mal négocié (le passage de l'indépendance aux contraintes de la MGM, et le basculement fatal dans le parlant) ont raison de ses ambitions, mais lui procure l'aura mythique des artistes sous-estimés. Sa dernière apparition à l'écran, autour d'une table pendant la partie de cartes des "losers du muet" dans Sunset Boulevard de Billy Wilder, vient attester cette légende-là . Une légende longtemps entretenue par les cinéphiles, et qui aujourd'hui retrouve son éclat auprès du grand public par la grâce de copies fraîchement restaurées et de séances spéciales avec des accompagnements musicaux inédits. On en aura quelques exemples à l'occasion de cette rétro : les 21, 22 et 23 décembre avec la partition de Timothy Brock (qu'il dirigera avec l'ONL) pour Le Mécano de la General à l'Auditorium, et les 13 et 14 janvier avec le pianiste Florian Doidy à l'Institut Lumière.Le Cinéma de Buster KeatonÀ l'Institut LumièreJusqu'au 28 janvier