Héroïque fantaisie

Dans la pléthore d’artistes invités pour fêter les 40 ans des éditions Glénat, un nom nous a particulièrement frappés : celui de Philippe Druillet, inventeur d’univers fantastiques dans tous les sens du terme. François Cau

On ne va pas vous faire l’affront de résumer en une pauvre demi-page tout le parcours de Philippe Druillet, un numéro entier n’y suffirait pas. Car non content d’avoir révolutionné le graphisme de la science-fiction, d’avoir décuplé son potentiel d’évocation dans des planches sublimes, il a également œuvré comme photographe, acteur (pour Ariane Mnouchkine), illustrateur pour des affiches de cinéma (les mauvaises langues diront que son travail constitue le seul point positif des films de Jean Rollin…), éditeur (il a fondé Les Humanoïdes associés), créateur d’accessoires et de décors pour le trop mésestimé Convoi de la peur de William Friedkin, pionnier français de l’image de synthèse, designer et architecte tout terrain, réalisateur, producteur, et on en passe pour ne pas vous flanquer le vertige. Un artiste boulimique, passionné, profondément érudit, qui se laisse avant toute chose guider par sa curiosité dans tous les domaines.Du côté de chez Sloane
Avant de se lancer dans l’aventure de la bande dessinée, Philippe Druillet, ostracisé par les jeunes de son âge du fait de ses origines franco-espagnoles (que voulez-vous, les enfants sont formidables comme disait l’autre), se réfugie dans l’expression artistique. Il dévore des ouvrages de science-fiction, se gave de films, se passionne pour la peinture du XIXe siècle, les cultures africaine, sud-américaine ou égyptienne. Autant d’influences qui donneront à son style visuel son empreinte comme son unicité : impossible de ne pas être frappé, à chaque page de ses albums, par le faste de son dessin, le caractère puissamment organique de ses vaisseaux, de ses temples extraterrestres, la précision rigoureuse animant les traits déviants de ses personnages, le tout avec un sens de la narration instinctif et prodigieusement novateur. Sa première publication nous présente son héros récurrent, Lone Sloane, voyageur cosmique épris de liberté et de contestation des pouvoirs en place. Une certaine idée de l’idéal héroïque selon Druillet, que son auteur est cependant bien loin de sacraliser : il en livrera en collaboration avec Gotlib une parodie hilarante (L’Allée aux cent collines, où le héros sera rebaptisé Lone Slonono et cherchera à se guérir d’un hoquet spatial) pour l’anthologie Rubrique-à-brac. D’album en album, l’auteur parfait son style graphique, peaufine chaque détail, sans pour autant laisser de côté ses expérimentations – outre l’utilisation avant-gardiste d’images de synthèse dans ses planches, il est notoirement l’un des premiers à appréhender la mise en page comme un système de narration à part entière, idée qu’il poussera à son paroxysme dans Vuzz, album beaucoup plus brut graphiquement et complètement exempt de texte, tournant autour d’un anti-héros bourrin. Flaubert revisité
Toutes les obsessions de Philippe Druillet atteindront leur paroxysme esthétique dans La Nuit (1976), qualifié par ses soins d’opéra rock atomique. Un tournant dans son œuvre, qui n’aura jamais été aussi extrême dans son incarnation d’une humanité dégénérée, aspirant à l’anarchie la plus décomplexée. Si l’album résonne d’un fatalisme jusque là inédit dans son œuvre, c’est qu’il fait figure de dédicace à la femme de l’auteur, décédée pendant sa réalisation des suites d’un cancer. Jamais l’entremêlement entre les pensées et convictions intimes de Druillet et son œuvre n’auront été aussi flagrantes, aussi évidentes, dans toute leur amère désillusion. Incidemment, pour son ouvrage suivant, l’auteur part sur un autre postulat scénaristique : adapter Salammbô de Gustave Flaubert dans son univers de Space Opera, avec en héros une évolution du personnage de Lone Sloane. D’une beauté littéralement incroyable, cette anthologie marque le break provisoire de Druillet avec la bande dessinée, dont il estime alors avoir fait le tour des possibilités esthétiques. Il y reviendra cependant quelques 15 ans plus tard avec Chaos, où il ose jouer avec le cadavre de Lone Sloane, pied de nez parmi tant d’autres d’un artiste qui se sera toujours renouvelé. Philippe Druillet
Dédicace avec l’auteur le samedi 26 septembre dès 14h30, à la boutique Momie Folie (un grand merci à Julien pour le prêt des ouvrages)

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 17 octobre 2023 L'édito du Petit Bulletin n°1221 du 18 octobre 2023.
Mercredi 6 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or "Anatomie d’une chute" et sans doute favorisé par la grève affectant...
Lundi 24 avril 2023 Le secteur culturel grenoblois s’empare, depuis peu mais à bras-le-corps, du sujet épineux de la transition écologique. Mobilité des publics, avion ou pas avion pour les tournées des artistes, viande ou pas viande au catering, bières locales ou pas...
Lundi 13 février 2023 Dans la catégorie humoriste nonchalant, on demande le pas encore trentenaire Paul Mirabel, drôle de Zèbre (c’est le nom de son spectacle) qui cartonne depuis (...)
Lundi 16 janvier 2023 Trois soirées électro à Grenoble pour faire bouger tes nuits : Ed Isar le 24 janvier à la Bobine, Umwelt le 27 janvier à l'Ampérage et une Semantica Records night le 28 janvier à la Belle Électrique.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X