François Germain : de la haute montagne au squat lyonnais, portrait du patron de la TEC

Portrait / Des falaises du Mont-Blanc aux tourments du service militaire, des salons d’arts décoratifs aux squats lyonnais, pour arriver jusqu’à Voiron : rencontre avec François Germain, un anticonformiste qui a fondé, il y a 10 ans, la Théorie des Espaces Courbes, galerie d’art contemporain pas comme les autres.

Hoodie gris, mitaines éculées, cigarette roulée avec un filtre maison en carton. On est loin, très loin du cliché du galeriste snob, urbain, maniéré. François Germain fait des travaux à la TEC, acronyme de Théorie des Espaces Courbes, la galerie d’art contemporain qu’il a fondée à Voiron il y a dix ans.

à lire aussi : Les vanités de Fabrice Leroux à la TEC : nos tristes cendres

Dans le bureau froid et enfumé, au mur, des chaussons d’escalade et une photo de François Germain jeune, accroché à une paroi. Une jeunesse à courir après l’adrénaline de la montagne, passion débutée à l’âge de 10 ans quand ses frères l’emmenaient, depuis la maison familiale de Sainte-Foy-lès-Lyon, vers les sommets. Plus grand, avec les copains, il délaisse le lycée – « j’étais le seul garçon parmi 2000 filles au lycée Juliette-Récamier, à Lyon » –, obtient le bac en candidat libre, puis sèche les études – un IUT à Aix-en-Provence « qui m’a permis de fuir cette ville de Lyon » – pour la grimpe sur la montagne Sainte-Victoire. La paroi seule compte. Jusqu’à 1983, quand, dans le massif du Mont-Blanc, accroché à une falaise avec son ami Bruno Gouvy, ils réchappent par miracle d’une avalanche de pierres. Pour François, c’est le déclic. « On mettait quand même tous les jours notre vie dans la balance. Aujourd’hui, les grimpeurs font des trucs de haute difficulté, mais ils sont surentraînés en salles, les dispositifs de sécurité ont évolué… À l’époque, c’était précaire, on était très exposés. On faisait abstraction des risques. Mais j’ai pris conscience que je voulais connaître d’autres âges de la vie, avoir des enfants. » Arrêt brutal de la grimpe. Bruno Gouvy, lui, a continué, pratiquant tous les sports à risque de montagne. Il est mort à 27 ans.

à lire aussi : Les vanités de Fabrice Leroux à la TEC : nos tristes cendres

Un simulacre de suicide pour éviter l’armée

Après cet accident au Mont Blanc, le devoir appelle François Germain dans la Marne : service militaire. « Je n’ai pas réussi à me faire réformer. Mais c’était hors de question. » À peine arrivé là-bas, il se retranche dans les toilettes et commet « un simulacre de suicide ». Il s’entaille les poignets, suffisamment pour que ça saigne et que ça impressionne, pas assez pour se mettre réellement en danger. Spécial, hein ! Ça en dit long sur le caractère du bonhomme. « Ils m’ont tout de suite isolé, et emmené à l’hôpital militaire de Nancy. J’ai rencontré des psys, je leur ai raconté des conneries… Et j’ai été réformé P5, ce qui veut dire que j’étais sérieusement atteint. » Il sourit. « Ils n’ont même pas eu le temps de me couper les cheveux ! »

N'empêche, ces deux épisodes, racontés de loin aujourd’hui, ont déstabilisé le François Germain de l’époque. « J’étais dans la confusion, une certaine dérive. J’avais failli mourir en montagne, simuler le suicide, il y avait cette proximité de la mort… » Que faire ? Hasard d’une rencontre, sur une plage, avec un véliplanchiste qui surfait les vagues. Il observe l’objet, rare à l’époque. Nouveau déclic : fabriquer des planches. Il s’associe au copain Bruno Gouvy, malgré l'absentéisme lié à la montagne. La marque Farigoulette Connection est née. Avec son design bien affirmé et ce nom improbable, elle se fait assez vite une place sur le marché balbutiant du windsurf. « Farigoulette, c’est comme une sorte d’exclamation, quelque chose de génial… Et il y a cette consonance marrante du midi. C’était plus marrant que Sunset Surf, ou ce genre de truc. On a fabriqué environ 2500 planches ; mais dans les années 90, la mode est un peu passée, il y a eu la guerre du Golfe. » Fin de Farigoulette Connection.

Fort de ses compétences en travail de matériaux composites, François Germain se tourne alors vers l’ameublement. Il réalise surtout des bureaux, comme celui sur lequel il est appuyé, cigarette en main – toujours. Des meubles légers, design, aux courbes audacieuses. Mais les contacts avec les industriels sont compliqués : déjà, il n’y avait pas internet, et surtout, ils avaient l’air de considérer que François Germain allait un poil trop loin dans le propos ; pas très consensuel... « J’en ai eu ras le bol, je me suis dit : "Ce que je veux faire, c’est artiste." » À la TEC, il a rassemblé quelques-unes de ses pièces : un bureau dont les pieds dégueulent de la monnaie et des billets sur le sol, un autre en forme de libellule que l’on chevauche, et dont les ailes se replient mécaniquement (mieux vaut ne pas oublier l’ordinateur dessus). Plus simple, une étagère murale à tiroir attire notre attention. Elle associe deux bois aux courbes parfaites, dans un assemblage net et lisse. Une œuvre créée pour faire la nique aux artisans d’art, « parce que relier deux bois en une courbe comme ça, c’est un cauchemar technique ». Peu à peu, il se fait connaître, entre un collectif d’artistes basé à Paris et ses missions, vingt ans durant, pour l’atelier de décors Espace & Cie, à Vénissieux. « Ça avait le mérite d’être rémunérateur et intéressant. »

Artiste-squatteur à la friche RVI de Lyon

Changement familial, interrogations sur « la condition d’artiste ». Nouveau virage. « J’avais besoin d’engagement. » Comprenez artistique. Il rejoint la friche RVI (Renault-Véhicules-Industriels) dans le 3e arrondissement de Lyon. « 35 000 m2 investis par des squatteurs, des artistes… Il y avait une convention d’occupation d’un an, ça en a duré sept. C’était une vie alternative, avec toutes sortes de gens, engagés dans des luttes politiques, dans l’art, dans le rejet des logiques habituelles. C’était une zone de non-droit aussi. Une vie difficile, car les rapports sont durs, parmi ces gens tous différents et extrêmes. On se sent rarement serein. » Dans un coin de la friche RVI, il se fait son petit chez-lui, avec une vieille caravane et un bardage métallique. Un incendie, en 2010, le déloge et vide les lieux. Fin de l’épisode squat, début de la page TEC.

Théorie des Espaces Courbes… Un nom qui lui trotte dans la tête depuis qu’il l’a lu, enfant, dans un livre de vulgarisation scientifique de son père. Il évoque aussi son travail artistique, tout en circonvolutions. Comme cette sculpture en bois, dans le couloir du hall d’exposition, qui semble couler comme du chocolat. Les lignes droites, ce n’est pas pour lui. Tiens donc ! Avenue Gambetta, à Voiron, le soleil illumine les murs blancs de la TEC. « Le jour où j’ai visité ce lieu, tout s’est mis en place. Il y avait tout le potentiel pour faire des expositions, loger des artistes en résidence, installer mon atelier. » Le propriétaire, séduit par le projet, a facilité les choses. François Germain a monté les trois premières expos dans ce lieu qui se veut « collaboratif, sympa, pas réservé à une élite, mais avec une forte exigence dans la ligne éditoriale ».

Aujourd’hui, la TEC, association présidée par Christian Celli, l’ex-libraire de Voiron, regroupe environ 150 adhérents, qui conçoivent la programmation via des comités de sélection, à raison de quatre expositions par an. « Pour cette année, on a reçu 131 projets. On est censés sélectionner 3 artistes, car l’une des expos est réservée aux jeunes sortis d’école. 131 projets pour trois artistes seulement ? C’est le contraire de ce que je voulais faire… Ça va faire une quantité de déçus très importante. » Solution : déterminer la programmation sur deux ans. Soit jusqu’en 2025. Ce qui amène une question. Entre la charge de travail, le bénévolat, la difficulté de trouver des fonds, c’est quoi, l’avenir de la TEC ? « En 2019, lors d’un vernissage, j’avais dit soudainement que la TEC prendrait fin en octobre 2025. C’est la fin d’un bail. La TEC a une dimension expérimentale, alternative, de militantisme culturel qui puisse se faire au bénéfice de tous, avec une grande exigence… Comment penser cette logique alternative pendant encore 10 ans ? Après, la TEC, j’ai longtemps pensé que c’était moi. Mais si j’étais seul, ça ne fonctionnerait probablement plus. En même temps, je ne vois pas trop ce que je pourrais faire d’autre… » On ne s’inquiète pas : à esprit libre, univers libre.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 9 mai 2022 Trois ans après sa dernière “édition normale“, le Festival du cinéma italien de Voiron est enfin de retour au printemps en salle. Avec un programme dense, des invités et… sa désormais célèbre pizza géante. A tavola !
Vendredi 22 avril 2022 Installées sur le glacis du fort de la Bastille, face à Belledonne, quatre petites cabanes conçues par des étudiants en architecture doivent permettre au public néophyte d’expérimenter le bivouac en montagne. Du 2 mai au 2 octobre, des gardiens se...
Vendredi 15 avril 2022 Les gentils rappeurs toulousains sont les têtes d’affiche du prochain Vercors Music Festival, qui se tiendra du 1er au 3 juillet. Pas seulement, parce qu’ils ont carrément composé eux-mêmes une partie de la programmation (encore inconnue). Sinon, on...
Jeudi 24 mars 2022 Après l'annulation de 2020 à cause de la crise sanitaire et une édition restreinte l’an dernier, le Voiron jazz festival a enfin fait son grand retour le 17 mars dernier. Tendez l'oreille et l'agenda, cette nouvelle édition bat son plein en cette...
Mardi 1 mars 2022 C’est un ambitieux plateau que propose la Belle Électrique pour la huitième édition de ses soirées Now Future, dédiées au pan le plus avant-gardiste de la scène (...)
Mardi 10 mai 2022 Originaire de la ville insulaire de Chiba au Japon, au sein de laquelle il organise depuis de nombreuses années les emblématiques soirées Future Terror, DJ (...)
Mardi 2 novembre 2021 Vous avez toujours eu un faible pour les architectures organiques des films de science-fiction des années 1970 (de La Planète des singes à Star Wars) ? (...)
Vendredi 12 mars 2021 Reconnu comme l'un des pionniers de la bande dessinée contemporaine et autobiographique, Edmond Baudoin est en résidence à Grenoble depuis trois mois sur invitation du réseau de bibliothèques, dans le cadre du Printemps du livre. Avec son pinceau et...
Mardi 20 octobre 2020 Après "Ça ira (1) Fin de Louis" passée par Grenoble en 2016, la MC2 accueille de nouveau le metteur en scène Joël Pommerat avec son "Contes et légendes" créé l’an passé. Un titre faussement doux pour un spectacle qui s’intéresse autant à...
Mardi 6 octobre 2020 Enseignement supérieur / Utilisés depuis un an comme support d'enseignement à l'Ense3 de Grenoble, école d'ingénieurs spécialisée dans l'énergie, l'hydraulique et l'environnement, les low-tech devraient être, à la rentrée prochaine, au cœur d'un...
Mardi 22 septembre 2020 Dans le sillage de la Mostra, Amitié Voiron Bassano nous procure un dépaysant petit parfum de cinéma transalpin en programmant la 33e édition de son festival. (...)
Mardi 22 septembre 2020 "Prends ce récif pour barricade". Sous ce titre aussi poétique qu’énigmatique, Chloé Devanne-Langlais propose au Vog une exposition-installation qui nous projette dans le monde d’après : celui où seul les récifs pourront encore nous abriter.
Mardi 17 décembre 2019 Nos coups de coeur de 2019 dans le domaine des expositions (et des lieux qui les accueillent).
Lundi 16 septembre 2019 Sur fond de dissimulation artistique, Céline Sciamma filme le rapprochement intellectuel et intime de deux femmes à l’époque des Lumières. Une œuvre marquée par la présence invisible des hommes, le poids indélébile des amours perdues et le duo...
Mardi 3 septembre 2019 Sortie triomphalement au printemps, "Parasite" de Bong Joon-ho, la Palme d’or du dernier Festival de Cannes, laisse un boulevard aux films de l’automne, qui se bousculent au portillon. À vous de les départager ; ex aequo autorisés.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X