Sur fond de dissimulation artistique, Céline Sciamma filme le rapprochement intellectuel et intime de deux femmes à l'époque des Lumières. Une œuvre marquée par la présence invisible des hommes, le poids indélébile des amours perdues et le duo Noémie Merlant / Adèle Haenel, qui a récolté le Prix du scénario au dernier Festival de Cannes.
Fin XVIIIe. Officiellement embauchée comme dame de compagnie auprès d'Héloïse, Marianne a en réalité la mission de peindre la jeune femme qui, tout juste arrachée au couvent pour convoler, refuse de poser car elle refuse ce mariage. Une relation profonde, faite de contemplation et de dialogues, va naître entre elles...
Il est courant de dire des romanciers qu'ils n'écrivent jamais qu'un livre, ou des cinéastes qu'ils ne tournent qu'un film. Non que leur inspiration soit irrémédiablement tarie au bout d'un opus, mais l'inconscient de leur créativité fait ressurgir à leur corps défendant des figures communes, des obsessions ou manies constitutives d'un style, formant in fine les caractéristiques d'une œuvre. Et de leur singularité d'artiste.
Ainsi ce duo Héloïse-Marianne, autour duquel gravite une troisième partenaire (la soubrette), rappelle-t-il le noyau matriciel de Naissance des pieuvres (2007) premier long-métrage de Céline Sciamma : même contemplation fascinée pour une jeune femme à l'aura envoûtante, déjà incarnée par Adèle Haenel, mêmes souffrances dans l'affirmation d'une identité intime.
Bresson et lumière
Mais la transposition au XVIIIe siècle de ce roman d'apprentissage (genre dont la cinéaste s'est fait une spécialité, y compris dans les films pour lesquels elle intervient comme scénariste – Ma vie de courgette, Quand on a 17 ans...) induit une forme plus austère et froide, où dialogues et costumes corsètent les sentiments en abolissant les actions superflues, où les décors imposent par convention à la photo des compositions picturales.
Pour autant, la vie et son feu ne sont pas ôtés à l'image ; c'est d'ailleurs tout l'enjeu de la mission de Marianne : fixer l'essence d'Héloïse sur une toile. Là se trouve le moindre des paradoxes d'un film qui ne cesse de jouer les oppositions et les extrêmes, de flatter les clairs-obscurs ou manier le chaud et le froid, le feu et l'eau (où Marianne se jette d'ailleurs dès les premières secondes pour récupérer ses toiles tombées à la mer ), l'incandescence des désirs et la froideur des cœurs inassouvis. Avec Roubaix, une lumière, Portrait de la jeune fille en feu était le second film pouvant revendiquer l'héritage bressonien à figurer en compétition à Cannes cette année.
Portrait de la jeune fille en feu
de Céline Sciamma (Fr., 2h) avec Noémie Merlant, Adèle Haenel, Luàna Bajrami...