Refuser le dérisoire

Entretien / Événement phare de l’Amphithéâtre de Pont-de-Claix, L’Hommage à l’Acteur part sur de nouvelles bases, en disséminant notamment ses représentations sur toute l’année. Entretien sportif mais fair play avec Michel Belletante, créateur de la manifestation. Propos recueillis par François Cau

Peux-tu dans un premier temps revenir sur les raisons qui ont motivé cette fragmentation de l’Hommage à l’Acteur ?Michel Belletante : Le but de cet hommage était quand même de donner une vraie carte blanche à des comédiens, et là je pense en termes de création. Or de plus en plus, étant donné les dates du festival, tous les comédiens étaient en répétition, se préparaient pour des projets préétablis. Je n’avais que quelques créations contre beaucoup de diffusion, de spectacles qui tournaient déjà. D’une part ça dévoyait l’esprit, et d’autre part on a fait dix ans de festival ; très honnêtement je n’ai pas senti qu’il y avait une “poussée magnifique du public“ qui allait dans ce sens, et il nous est très difficile d’avoir des gens tous les soirs, avec les petites forces qui sont les nôtres. J’ai dit “arrêtons ce festival“, et replaçons le contexte qui est de donner des cartes blanches aux comédiens et donc de leur permettre d’être là quand ils ont envie d’être là.Je vais faire ma chipoteuse, mais il reste encore des diffusions dans la programmation…J’ai choisi exprès des spectacles soit comme l’adaptation de Conrad, qui sont vraiment créés pour l’événement, soit comme La Phrase pour ma mère, qui a déjà tourné et qui se jouera pour la dernière fois.Et on a le cas de Jean-Marc Avocat, entre les deux.Bérénice est une vraie création. À la base je lui avais même demandé de jouer les deux dans la même soirée, mais il n’a pas voulu, ça aurait été trop dur, trop long, rien qu’un spectacle représente déjà une épreuve physique. Là, c’est un déclic d’amoureux du théâtre. Ce n’est pas la volonté de faire un coup avec la performance d’un homme interprétant Racine seul, mais le désir de montrer le plus de tragédie possible aux spectateurs. Je prends un risque, je sais très bien que les gens peuvent se lasser. Mais ce sont des choses auxquelles je réfléchis beaucoup pour réorienter le projet de l’Amphithéâtre.Justement, l’une des lignes directrices de l’Hommage cette année est la réappropriation ou la recontextualisation d’œuvres classiques…Et je dirais également un rapport à la tragédie contemporaine. Bon, je sais qu’avec ce genre d’expression, tout le monde va craindre la prise de tête, mais c’est quand même un questionnement clé. Un autre élément qui se dégage de la programmation, c’est la mise en avant d’une certaine idée de l’individualisme. C’est implicitement l’un des présupposés artistiques de l’Hommage à l’Acteur, mais quand on regarde les notes d’intention, on a systématiquement un personnage en opposition à, en réaction à… Ce serait plutôt “au regard de“, du groupe social, très clairement. Le héros tragique est seul face au groupe. Nous, à la compagnie, depuis le début, on se pose la question de savoir comment on fait pour vivre ensemble. Donc forcément tu as cette question, capitale maintenant, de l’individu et du groupe. Dans Nous les héros de Jean-Luc Lagarce, il y a sans arrêt cette question-là. Le mec fonctionne à l’intérieur d’un groupe, mais il a des velléités d’individu, il menace de s’en aller mais ne le fait pas… donc tout ça fait partie du processus. Et pour moi la question que je pose à la fin de la 107e minute c’est “solitaire ou solidaire ?“.Les œuvres qui captent le mieux le monde aujourd’hui versent quasiment toutes dans la tragédie. Comment l’expliquerais-tu ?Je pense objectivement qu’il y a un refus du dérisoire. À partir du moment où les dieux sont tombés, où même les grands optimismes sont tombés, il ne reste rien. L’homme n’est plus qu’un pantin dans ce monde perdu, etc. Je pense que la partie sacrée de l’individu se rebelle très fortement contre cette chose-là, et que concrètement il y a cette volonté de faire émerger ce qu’il restera de l’être humain. Il faut le préserver à tout prix. On ne peut pas continuer à considérer l’homme comme un simple bout de viande.À cette nuance près que cet espoir n’est quasiment plus là, l’heure semble être au fatalisme…On retrouve là-dedans la vraie tragédie, l’expression de la liberté de l’homme à l’intérieur d’un cercle complètement contraint, et qui finira par avoir sa peau. Soit tu considères que le héros ne fait que reproduire la volonté divine, et à ce moment-là tu te retrouves dans ce que tu décris, mais à mon sens le vrai sens du tragique c’est que l’homme échappe à la volonté divine. Comme Orphée, et finalement comme Zidane : si tout le monde avait entendu ce que lui a dit Materazzi, il se serait fait calmer à coups de “non c’est pas si grave“, mais il est le seul à avoir entendu, il est le seul à savoir, et parce qu’il sait il ne peut pas se taire. C’est là que je me reconnais.

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