La mère, ad libitum

critique / l’impeccable comédien Jean-Marc Bourg nous fait entendre Une phrase pour ma mère de Christian Prigent. Séverine Delrieu

Une phrase pour ma mère de Christian Prigent (P.O.L, 1996) compte 205 pages. Plus qu’une longue phrase, ce texte est un déroulé ininterrompu de parole, un flux permanent, qui digresse, s’échappe de son cours, travaille par associations d’idées, rimes, souvenirs, sonorités ; une langue libre, inventive et glissante, babillante, scatologique, verte et soutenue ; une langue qui détourne Proust, s’encanaille, et revient à Bataille ; une langue presque maladive tournant continuellement autour du rapport qu’un fils a eu à sa mère, et ce que celui-ci a fait de lui, ou défait en lui. Cette phrase, encore, est un monologue tragi-comique articulé par une voix obsédée par la figure de la mère, qui, par cette logorrhée incoercible, tente une libération. À partir de ce matériau volubile, riche, Jean-Marc Bourg construit une traversée verbale époustouflante d’une heure et quart, faisant naviguer le spectateur dans une palette d’émotions multiples, saisissant l’auditeur dès les premiers mots (celui du souvenir du derrière de la mère), pour le lâcher totalement déboussolé dans le noir. Au rire s’ensuit l’éblouissement de la poésie, le trouble dû à la détresse de cet homme. Les émotions valsent.TU MEURS MA MÈRE !La folle langue de Prigent (l’auteur du grandiose À quoi bon des poètes ? et du tout autant jubilatoire Grand-mère Quéquette) exprime une complainte noire - plainte qui peut virer à la drôlerie, tant la langue pousse vers l’exagération et la surenchère - le reproche, le désir, le manque de reconnaissance, la jalousie de ce fils envers sa mère. Jean-Marc Bourg, entré avec corps dans cette langue, focalise toute l’attention, fait entendre chaque personnage que le fils joue – le passage des médecins est un moment de pure jubilation - et, grâce aux subtiles lumières de Christophe Forey, les bras bavards, le visage de gargouille creusé par la douleur, ou de face de comique de Jean-Marc Bourg se dessinent dans l’espace comme une excroissance irréelle. Les couleurs projetées sur le comédien montrent les variations des états d’âme, les facettes de la maladie, une folie, plus violente que douce. Une phrase pour ma mère ven 26 oct à 20h30, à l’Amphithéâtre

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