À l'École de Molière

Créées il y a quelques mois seulement au TNP, les “3 comédies de Molière“ seront jouées à l’Hexagone les 10, 11 et 12 octobre. Christian Schiaretti, le metteur en scène, nous explique pourquoi il a voulu mettre en lumière les premières pièces du dramaturge le plus étudié dans nos collèges et lycées. Propos recueillis par Nadja Pobel

Pourquoi, après avoir monté des auteurs de l’avant-garde comme Brecht ou Pirandello ou récemment Shakespeare, vous vous confrontez maintenant à Molière ?Christian Schiaretti : Il y a un point commun entre tous ces auteurs : ils font partie d’un répertoire. Comme Molière. C’est ma conception du théâtre public de faire entendre des œuvres qui sont dans la mémoire collective. Et il serait bon aussi que je présente régulièrement Tchékhov, Musset, ou Corneille, car ce n’est pas contradictoire avec une activité de création contemporaine. Vous auriez pu choisir des grands classiques de Molière or vous optez pour des pièces moins connues. Pourquoi ?On me reproche parfois de monter des classiques. Mais au fond que connaît-on de Molière ? de Corneille ? deux, trois pièces peut-être… On ne connaît finalement pas l’œuvre, seulement certaines parties. Quand je travaille sur un auteur, je fais appel à des œuvres qui ne sont pas forcément connues ou reconnues. En l’occurrence, ce sont ici des textes qui sont le fondement de l’œuvre de Molière. Il a eu une vie de tournée pendant treize ans où il a traversé la France entière. Durant cette période, il est d’abord acteur et il est auteur au sens où l’on pouvait l’être à l’époque, c’est-à-dire plagiaire ; il s’inspire de canevas de farce. C’est à ce moment qu’il trouve les définitions de son théâtre futur. Quand on monte ses pièces d’origine, on voit Molière naître, on le voit advenir et on s’aperçoit qu’il n’est pas aussi moral ou moraliste que ce que l’on pense.Et d’ailleurs on rencontre des personnages dans ces premières pièces qu’on retrouvera ensuite dans ces classiques…Bien sûr, Sganarelle, le cocu imaginaire, c’est le fondement d’Arnolphe de L’École des femmes et d’Alceste du Misanthrope. On s’aperçoit par exemple qu’Alceste n’est pas un personnage génial. En général, le théâtre contemporain le représente comme une vérité, comme quelqu’un qui a tout compris et qui préfère se détacher du monde. En fait c’est plus compliqué que cela, Alceste a l’ascendance de Sganarelle. Mascarille, le valet des Précieuses Ridicules, possède lui la langue, les manières. C’est une sorte de futur Figaro ou Dom Juan.Vous avez adopté une mise en scène minimaliste avec tréteaux, coulisses à vue. C’est pour pouvoir emmener votre spectacle partout ?Oui, c’est la raison d’être de ces pièces, elles ont été écrites pour des troupes. Ce sont leurs racines. Ils étaient neuf comme nous. Ils faisaient tout et évidemment les conditions d’accueil et de tournée les faisaient travailler sur un théâtre de tréteaux. Les décors n’existaient pas. Il y avait juste des accessoires pour jouer, une table, une chaise et puis voilà. Jouer dans ces conditions nous permet de retrouver le fonctionnement objectif des farces et des comédies et d’aller partout.Les comédiens sont aussi interchangeables. Ils peuvent endosser tous les rôles, jeunes ou vieux…C’est encore la logique de troupe comme à l’époque. Molière a 37 ans. La moyenne d’âge des acteurs devait être autour de 30-40 ans. Ce n’était pas le fonctionnement d’aujourd’hui de distribution et de production. Nous, on s’amuse comme à l’époque. Vous montrez aussi que Molière pouvait être très drôle.Oui il est drôle. Le public adolescent a d’ailleurs ri très intelligemment à la première série de représentations car je crois que c’est un théâtre plus anarchiste que le théâtre moraliste qui va suivre ; la jeunesse s’y retrouve. Il y a quelque chose d’une enfance première comme dans les premiers petits films chez Chaplin. Dans ces pièces-là, on entend beaucoup le règne de l’apparence. Il y a de la place pour la rédemption des exploités, des pauvres, des valets qui retournent la démonstration de cette apparence du pouvoir. Aujourd’hui, c’est une des questions qui nous habite beaucoup : on a un pouvoir qui parle populaire et qui en même temps manie le bâton. Comment va-t-on établir une distance ? Comment va-t-on retourner le gant du pouvoir ?Il y a une même manière assez frontale de dire les choses. Le personnage de Mascarille nous invite à la comédie et nous dit qu’on a l’obligation de l’applaudir. On n’a pas forcément l’habitude d’autant de cynisme et de franchise…Oui, Les Précieuses Ridicules sont une magnifique démonstration de la complaisance de ce qu’on appelle les théâtreux. Les choses valent que ce qu’on les fait valoir. C’est ce qui est dit dans la pièce. L’effet propagande, ce qu’on appelle aujourd’hui la médiatisation, vaut mieux que la chose elle-même. Et ce n’est pas vrai seulement du pouvoir politique mais aussi évidemment du théâtre lui-même. Molière pourfend la complaisance. 3 comédies de Molièredu 10 au 12 octobre, à l’Hexagonedu 23 au 25 octobre, au Grand Angle

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