Enceintes mondiales

MÊLANT L’EFFERVESCENCE DES MUSIQUES DU TIERS-MONDE AUX DERNIÈRES TENDANCES DU HIP-HOP ET DE L’ÉLECTRO, LA SRI LANKAISE M.I.A. SYNTHÉTISE AVEC “KALA”, SON DERNIER ALBUM, LES ÉVOLUTIONS LES PLUS PASSIONNANTES DE LA MUSIQUE DE CES 5 DERNIÈRES ANNÉES. ET SIGNE UN OPUS À LA FOIS POP, POLITIQUE, EXPÉRIMENTAL, ET FURIEUSEMENT DANSANT. DAMIEN GRIMBERT

Il serait tellement facile de “vendre“ Maya Arulprasagam, alias M.I.A. pour Missing In Action, sur son seul parcours. Réfugiée sri lankaise exilée dans une cité HLM de Londres à l’âge de 10 ans, fille d’un Tigre Tamoul (organisation indépendantiste clandestine farouchement réprimée par le gouvernement du Sri Lanka), puis star des dancefloors avant-gardistes depuis 2004 et la sortie de son tube ravageur Galang. Une sorte d’icône underground à l’allure sexy et aux propos engagés incandescents, de mèche avec les producteurs les plus en vue de la planète (Timbaland, Diplo, Switch) et en phase avec les vibrations les plus souterraines des ghettos du tiers-monde. À même de réconcilier musique expérimentale et pop mainstream, intellectuels engagés et amateurs de bling-bling et de chorégraphies millimétrées, branchés des capitales et faune de la rue.Le tournantMais avant le parcours, le propos, et le contexte, il y a avant tout la musique. Sauvage, percussive et rugueuse, lourde en basse, bourrée de bleeps bruyants et de samples hypnotiques... Et l’instant d’après, mélodique, apaisée, et émouvante… Avant que ne surgisse de nulle part un refrain imparable en apesanteur, sur une ligne rythmique irrésistible, que l’on se surprend à fredonner avant même la fin du morceau. Une sorte de montagne russe musicale ébouriffante, qu’on aurait pourtant tort de réduire à la simple “sensation du moment“. Certes, la musique de M.I.A. prend aux tripes, et emprunte sans complexe aux dernières tendances actuelles (baltimore club, bhangra, kuduro), mais pour nous emmener plus loin, dans un univers musical qui lui est propre, et dont on est prêt à parier qu’il nous séduira encore dans 10 ans. Sans compter que les vestiges du passé sont loin d’être passés à la trappe : références new-wave, rock, disco, rave music, et hip-hop old-school émaillent l’album de part en part, preuve d’une culture musicale de longue haleine, distillée avec une élégance qui force le respect. À 30 ans révolus, M.I.A. n’a en effet rien de la jolie potiche dont une poignée de producteurs malins tirent discrètement les ficelles. Elle rappe, chante, compose, produit, écrit ses textes, et n’hésite pas à montrer les crocs aux petits malins qui auraient tendance à l’oublier. Et pour l’avoir vu voler la vedette à Björk lors de leur récent concert commun aux Arènes de Nîmes, on peut vous garantir qu’elle ne démérite en rien sur scène en termes de flow et de présence.Grippe aviaireDe son enfance au Sri Lanka, M.I.A. a gardé l’influence des mélodies Bollywood et des percussions haletantes. De son adolescence dans les bas quartiers londoniens, les rythmes jamaïcains, les premiers hymnes hip-hop, et la pop sirupeuse diffusée à la radio. Et de son passage dans une école d’art, le goût de l’expérimentation et du Do It Yourself. Tous ces éléments, elle va les fusionner avec brio en 2004 dans un premier single monstrueux, Galang, qui va en faire l’une des premières révélations des réseaux du web. Playlisté à foison sur la plupart des dancefloors du monde, le tube accroche l’attention du jeune Wesley Pentz alias Diplo, DJ/producteur prodige révélé en 2003 avec sa mixtape au sein d’Hollertronix Never Scared. Toujours à l’affût des dernières évolutions musicales, qu’elles viennent des ghettos d’Atlanta, de Baltimore, de Londres ou de Rio de Janeiro (il a notamment révélé des artistes comme Spank Rock ou Bonde do Role), Diplo rencontre M.I.A. et réalise à ses côtés la mixtape Piracy Funds Terrorism, sur laquelle cette dernière rappe aussi bien sur ses propres productions que sur les derniers tubes du moment. Le buzz de M.I.A. monte encore, et explose enfin au printemps 2005 avec la sortie de son premier album Arular, à mi-chemin du grime, de la baile funk et du dancehall.Village mondialMais la déflagration se fait en deux temps. Car on ne sort pas d’un parcours pareil sans quelques réflexions bien senties sur l’état actuel du globe, en particularité la bipolarisation dans laquelle certains esprits obtus aimeraient bien l’enfermer. Et Arular de se révéler in fine aussi politique que dansant, même si M.I.A. privilégie ambiguïté et sarcasmes méchamment allusifs à la dénonciation bêlante et décérébrée. Une sophistication qui monte encore d’un cran avec ce nouvel album, Kala, enregistré sur près de deux ans entre l’Angleterre, l’Inde, le Libéria, Trinidad, la Jamaïque, le Japon, l’Australie et les Etats-Unis, et accueillant aussi bien en son sein un crew de jeunes rappeurs aborigènes, que la superstar Timbaland, un MC inconnu d’origine nigériane, que la révélation de Baltimore Blaqstarr. Assistée à la production par le talentueux Switch, M.I.A. oscille d’une reprise disco pétillante d’un standard Bollywood (Jimmy, tiré du film Disco Dancer) à une déflagration noisy empruntant aux tubes respectifs de New Order et des Pixies. Sans compter deux premiers singles absolument irrésistibles, Boyz et BirdFlu, qui ne devraient pas tarder à envahir les dancefloors. Quant au versant politique, malgré quelques lyrics incendiaires sur 20 dollars ou la chatoyante ballade Paper planes, rythmée par des rafales de mitraillettes, il a désormais pris une autre dimension : quand une jeune Sri Lankaise cartonne sur MTV avec un morceau enregistré en Inde et un clip tourné dans les bas-fonds de la Jamaïque, avant même d’écouter les paroles, le message est déjà passé…M.I.A.Album : “Kala“ (XL Recordings)

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