Les toiles se dévoilent

instantanés / les collections permanentes de nos musées recèlent des trésors que l’on méconnaît parfois. Par les voix des directeurs de structures, redécouvront des œuvres majeures et des objets insolites. Propos recueillis par Séverine Delrieu

JackyPourtant, loin d'être imposant de par sa taille et entouré de toiles plus volumineuses, on est happé par ce portrait de Jacky Kennedy. Comme si tout convergeait vers lui, ce visage ouvert, souriant de la femme du Président qui nous hypnotise au milieu d'une salle du Musée de Grenoble consacrée au XXe. Mais un sentiment d'inquiétude mêlé de malaise ne peut être contenu malgré cette image du bonheur total qui explose. Serait-ce l'effet de ce bleu aveuglant qui compose la sérigraphie de Warhol ? Ou bien est-ce le visage presque effacé de Jacky qui n'augure rien de bon ? Comment ces sentiments peuvent-ils s'inviter à la vision de cette joie ? «Le tableau date de 64, explique Guy Tosatto, Directeur du Musée et, pour faire ce tableau, Warhol s'est servi d'une photo de presse prise avant l'assassinat du Président à Dallas en 63. Dailleurs dans le fond, on voit le voit». Ce qui ne saute pas aux yeux au premier coup d'œil, mais il est bien là. «Puis, Warhol élimine les détails pour ne garder que cette silhouette, visage esquissé de Jacky avec simplement deux aplats de couleurs : un bleu lumineux et le noir. Avec la technique de la sérigraphie sur toile, Warhol va donner la dimension plastique du tableau : effets d'effacements, de coulures qui participent au plaisir à regarder le tableau en plus de l'émotion ressentie par tout ce qu'il représente. Mais ce qui est très remarquable, c'est comment cette toile s'inscrit dans l'histoire de l'Art. C'est à nos yeux de contemporain, une Vanité moderne, un peu l'équivalent de ces natures mortes du XVIIè siècle qui étaient censées représenter le caractère fragile, éphémère des biens de ce monde et de la vie en général. Avec Jacky on est dans ce registre : sous un caractère heureux, Warhol nous parle de choses graves. Sous l'anodin, une photo de presse réutilisée, il parle du tragique de la condition humaine.» Tout est dit. Jacky d'Andy Warhol, collection permanente du Musée de GrenobleAutoportrait d'HébertTrônant entre deux vases rouge vif, et à quelques mètres du buste blanc de son épouse Gabrielle, l'Autoportrait du peintre grenoblois Ernest Hébert, aux tonalités sombres, est le première vision pour le visiteur venu au Musée Hébert, l'ancienne demeure somptueuse du couple. Le regard perçant du peintre semble nous scruter. Cependant, sa posture relâchée nous le rend plus aimable. On s'apprôche alors. L'homme, quelque peu sérieux en impose, c'est un homme mûr. Laurence Nesme, conservatrice du Musée Hébert, confirme : «cet autoportrait a été réalisé en pleine maturité de la carrière du peintre, en 1870. Il a 53 ans et vient d'être nommé directeur de la Villa Médicis». C'est d'ailleurs l'Italie qui lui commande cet autoportrait destiné à orner la galerie des portraits d'artistes du Musée des Offices à Florence, demande «rarissime pour un peintre français». Grenoble, vexée de ne pas avoir son autoportrait d'Hébert, le peintre décide d'en réaliser un deuxième «qu'il dédicacera à sa ville natale». Sur celui-ci, «Hébert ne s'y peint pas en grand bourgeois qui a réussi mais plutôt en artiste : avec sa veste de velours un peu avachie et cette fameuse cravate rouge, c'est l'artiste républicain qui s'affiche». Cette touche rouge contraste d'ailleurs considérablement avec le noir dominant : l'œil saisit ce détail et s'y attache. À côté, la légion d'honneur, «reçue très tôt en 1853 pour un tableau Le baiser de Judas également présent dans le Musée», est piquée dans le revers de sa veste. «Ceci rappelle que la carrière d'Hébert à été très officielle et très brillante». C'est d'ailleurs à travers les portraits, plus que dans les tableaux de genre qu'il se distingua. Souvenez-vous des Portraits féminins en 2005. Autoportrait du peintre Ernest Hébert, tableau de la collection permanente du Musée Hébert, La TroncheTambour à dentelleCet objet, à l'allure d'un tambour sculpté avec délicatesse, semble plus destiné à l'accompagnement d'une musique traditionnelle, plutôt qu'à la production d'une dentelle compliquée. Ce qui frappe également, c'est l'unicité de chacun des tambours : autant de dessins, d'ornements sur la peau tendue qu'il y a d'objet. Et certains, plus précieux, mieux ouvragés que d'autres. Jean-Claude Duclos, Conservateur du Musée Dauphinois nous éclaire : «ce tambour est avant tout un présent d'amour destiné à être offert à la femme que l'on convoite. Voilà pourquoi l'on rivalise d'imagination pour faire le plus beau, voilà pourquoi ils sont tous différents». Découvert par Hippolyte Muller, à Saint-Véran en 1917, le tambour à dentelle lui a été vendu par des femmes ayant perdu le savoir-faire de l'objet et sans le sous, - la guerre bat son plein à cette époque et les temps sont durs-. L'insatiable collecteur d'objets, et fondateur du Musée Dauphinois ce même Hippolyte, se rend à L'Ecole des Arts appliqués de retour sur Grenoble. Là, une professeure qui comprend le mécanisme de l'objet se laisse convaincre par Hippolyte pour aller l'enseigner dans ce village afin que les femmes puissent retrouver une source de revenu. Une histoire de don et non de pillage. Du développement local avant l'heure.Le tambour à dentelle, collection permanente du Musée Dauphinois

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