Eros fucks Thanatos

Bruno Dumont, metteur en scène d’une effrayante cohérence, malmène le spectateur en auscultant les pulsions destructrices de personnages à l’humanité asphyxiante. Retour sur ses œuvres précédentes à l’occasion de la sortie de Flandres. François Cau

La vie de JésusBruno Dumont décide de se lancer dans l’aventure du long en décrivant ce qu’il connaît le mieux : la chronique du quotidien, dans le Nord de la France. En suivant le désœuvrement d’une bande de djeun’s à mobylette, il impose l’aridité de sa mise en scène, des sentiments, la violence des pulsions les plus sinistres (leitmotiv de ses films, la brutalité physique scande abruptement le cours du récit). Les comédiens amateurs choquent par leur non-jeu, désarçonnent par leur justesse. Le sexe y est triste, froid, presque toujours forcé. Les chairs pendent, flasques, se pénètrent au gré d’inserts particulièrement crus. Le drame est prêt à sourdre sous toutes ses formes, il se reflète dans la misère quotidienne et dans l’émulation stupide de cette bande d’irresponsables. La première tentation en sortant du film est de le rejeter en bloc, sur la base de son amateurisme de façade. Mais s’il ne s’agissait que d’un pseudo docu raté, comment se fait-il qu’on en garde un souvenir aussi précis, presque plan par plan, sans l’avoir revu depuis sa sortie au cinéma ? L’HumanitéLiaison presque directe avec La Vie de Jésus, L’Humanité fut inspirée à son auteur par une des scènes finales de son précédent long (la rencontre entre Freddy et un inspecteur de police). Le héros, Pharaon de Winter, emprunte son nom au peintre originaire de Bailleul connu pour ses œuvres s’inspirant du quotidien (influence picturale qui jaillira au gré de quelques plans). Partagé entre une enquête sordide et son affection dévorante pour Domino, ce flic présenté comme raté jongle entre les instincts primaires, évacue son mal-être avec douleur. Et pour cause : empathique jusqu’à la folie, Pharaon ne peut s’empêcher de faire sien les malheurs qu’il côtoie. Peinture d’un monde rural déliquescent, L’Humanité est une éprouvante descente aux enfers dont on sort groggy. Les partis pris esthétiques et le malaise prégnant de La Vie de Jésus y sont transcendés jusqu’au vertige, jusqu’à l’écœurement parfois. Prolongement idéal de la vision du film, la lecture du scénario (disponible sur www.00h00.com) démontre que Bruno Dumont possède une vision définitivement à part du médium cinématographique : l’acuité littéraire cohabite avec le parler franc et fruste de ses personnages, dans une alchimie moribonde des plus troublantes.Twenty-Nine PalmsParti aux Etats-Unis pour y effectuer les repérages d’un polar mystérieusement intitulé The End (toujours à l’état de projet), Bruno Dumont change subitement son fusil d’épaule et décide de conter une histoire d’amour impossible en dépit des apparences, en dépit des accouplements bestiaux (superbement mis en scène) de son photographe de héros et de son amie (Katia Golubeva, superbe fauve vue dans J’ai pas sommeil et L’intrus de Claire Denis mais surtout dans Pola X de Carax). Si L’Humanité embrassait le champ du polar dans son intrigue, Twenty-Nine Palms emprunte au gré de sa forme les atours du film d’horreur. Une bande-son oppressante, des plans magnifiques où la menace, indéfinie, semble sur le point de jaillir à n’importe quel moment. Même dans cet univers abstrait, les personnages sombrent dans l’animalité la plus révulsante, pour aboutir à une issue traumatisante. En définitive, Twenty-Nine Palms réussit là où le sordide La Vie Nouvelle du prétentieux Philippe Grandrieux échouait : concrétiser le projet d’un film d’horreur expérimental, triturant l’image et le son pour aboutir à un véritable cauchemar sensoriel.

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