Jeune, et public avant tout

Regards / Si l'état des lieux quelque peu désastreux du spectacle vivant jeune public questionne, certaines compagnies et salles imaginent des formes théâtrales abouties, intelligentes, dont nous nous faisons l'écho. Séverine Delrieu

Le théâtre jeune public est un genre à part entière, bien souvent négligé par ceux qui le programment mais aussi, et c'est là où réside le paradoxe, par ceux qui le font. Tout particulièrement en cette fameuse période des fêtes de Noël, où la surenchère de spectacles, de films pour enfants, de festivals pour enfants, d'activités labellisées “Jeune public”, s'inscrit dans la folie consumériste contaminant la ville. Puisque l'enfant doit être à tous prix diverti, amusé, occupé, les salles de l'agglo se couvrent de spectacles souvent très moyens (voire nuls), mais vite montés. Une réelle exigence esthétique, formelle, une recherche, une inventivité notable est denrée rare. Tout se passe comme si le jeune public pouvait se traiter par-dessus la jambe. Car si du côté des livres pour enfants une mini-révolution a eu lieu, bon nombres de vrais auteurs élaborent des graphismes et des histoires stimulantes, drôles, aux antipodes d'une mièvrerie infantilisante, (Soledad Bravi entre autre), du coté du spectacle vivant, peu ont assimilé que l'enfant était un être doué de curiosité, d'intelligence, qu'il était vain de le couper de la réalité en lui servant des histoires tiédasses voire abêtissantes. En résumé, l'exigence doit être la même pour un théâtre destiné à l'adulte que pour l’art vivant à la portée de l'enfant. Silence et Péripéties, (qui se joue encore aujourd'hui) du groupe d'improvisateurs Sphota, en est la preuve live, et inaugure un tour d'horizon, une sélection de ce qui ce fait de mieux pour nos enfants.Les enfants ont grandi ! Il va falloir compter avec un autre spectacle musical dans lequel on place beaucoup d'espoir : la création Sur les pas d'Alice (à partir de 7 ans) qui se jouera à l'Auditorium du Musée le 17 décembre. Trois demoiselles soudées, deux pianistes Stéphanie Fontanarosa et Christine Fontlupt, accompagnée de Karine Texier, comédienne, avaient créé il y a trois ans L'Histoire de Babar. À leur grande surprise, le spectacle s'est vu encensé par la critique. Elles ont fait plusieurs fois le tour de la France avec lui. Musée en Musique, séduit par ce spectacle, leur passe commande d'une nouvelle création pour son Concert de Noël. La totale carte blanche accordée, elles adaptent le magnifique et étrange texte de Lewis Caroll, Alice aux pays des merveilles, porteur justement d'une liberté communicative. Elles coupent certains passages pour ne garder que les habitants joyeux et déjantés du jardin. En mêlant au texte des musiques tour à tour classiques comme Poulenc, Ravel, Saint-Saëns, accolées aux extraits de pièces de Stravinski ou Kurtag, compositeurs plus contemporains, elles font le pari de titiller les tympans en ouvrant le jeune public à d'autres formes de sonorités. Robinson vit sa vieDu côté de la chanson, l'émacié Robinson, est «loin d'être sur son île», dixit la coordinatrice culturelle de l'Espace culturel le Coléo, Christine Malard, pourvue d'un sens aigu de la formule. Ses chansons (à partir de 4 ans), aux superpositions de voix féminines et masculines, à la rythmique emballée et joyeuse, soutiennent surtout des textes engagés, préoccupés par l'environnement, ancrés dans la réalité. Mais il va falloir attendre un peu pour l'écouter, car il ne se produira que courant février au Coléo, dont la louable ambition est «d'ouvrir les enfants sur le monde pour en faire des adultes curieux». Leurs spectacles métissés sont souvent d'une grande qualité artistique ; c'est la cas de Ivi sa vie (programmé en avril), une forme très plastique faite de projections des deux côtés d'un écran, de peinture, de pigments suintant sur la toile blanche ; alors que le personnage maladroit d'Ivi tente de comprendre ces images, il finit par interagir et devient créateur de ce monde, il vit sa vie en quelque sorte... Au Petit Théâtre, Le Mariage de Vanessa, un conte destiné au public pré-adolescents enclenche réflexion et voyage imaginaire (voir ci-dessus).Univers picturalLes Rêveries d'Angèle, ce mois-ci à l'Espace 600, (salle largement dédiée au jeune public dont Geneviève Lefaure nous parle ci-dessous), dessine un univers pictural entre pochoirs projetés, graphisme aux traits noirs appuyés et détails en couleurs. Sur des images fixes, les parents et le chat d'Angèle sont animés comme des marionnettes lumineuses, simplement dessinées sur l'écran. Ce spectacle à l'histoire somme toute assez banale (une petite fille inquiétée par la perte de sa dent est rassurée par son gros matou de l'arrivée prochaine d'une souris), hypnotise par son univers pictural déroutant, aux contours de rêve. Enfin, l'autre salle stimulante jeune public grenobloise, la Petite Roulotte, oscille entre programmation innovante (l'impeccable festival de la marionnette en est la preuve), et petits n'importe quoi, il faut bien le dire, fait de formes peu travaillées, le tout un rien en dilettante. Retenons tout de même La Poubelle à tête de Grégory Roux, jongleur, clown, conteur, qui assoie son personnage Boby Brian, balayeur semi-looser triste, dans une histoire rocambolesque : la poubelle lui parle et lui redonne le goût de vivre et d'affronter la vie... Voix intérieure, rencontre d'une amie, de la main tendue? L'interprétation est ouverte. Avec tout cela, si vous ne réussissez pas à faire décoller votre enfant de la télévision et des vitrines surchargées, c'est à vous qu'il faudra vous en prendre.

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