Godzilla, sa vie, son oeuvre

Icône pataude du cinéma fantastique, incarnation braillarde du Kaiju-eiga (« films de grands monstres ») et super star au Japon, Godzilla (Gojira en VO) voit le jour sur les écrans le 3 novembre 1954 sous l’impulsion de la compagnie de production Toho. Régis Autran

Réveillé par les essais nucléaires de ces salauds de Yankees, ce béhémoth à écailles incarne alors le mal absolu, faisant ressurgir le spectre de la mort et de la destruction moins d’une décennie après la fin de la guerre. Dans cette œuvre grave et forte traitée sur un mode quasi-documentaire par le réalisateur Inoshiro Honda, Godzilla piétine avec enthousiasme ses premières maquettes et attire plus de 9,5 millions de spectateurs nippons. A star is born. Au cours des années suivantes, les pontes de la Toho mettent en chantier une avalanche de suites, qui voient Godzilla s’impatroniser roi des monstres en envoyant au tapis toute une série d’improbables challengers à plumes, à poils ou à écailles. Signalons un affrontement au sommet entre Godzilla et King Kong en 1963. Pur délire d’exploitation sixties, cette confrontation dantesque entre deux poids lourds du cinéma est une véritable apocalypse dont personne ne ressort indemne : King Kong et Godzilla sont certes très forts, mais le vrai vainqueur de leur combat reste indiscutablement le ridicule.La dégénérescenceA l’approche des 70’s, le roi des monstres devient victime de son succès : idole des bambins de l’archipel, les producteurs orientent ses aventures vers un public toujours plus jeune, glissant progressivement vers le nanar et le kitsch le plus consternant. Transformé en ami des enfants, le célèbre monstre subit un relookage honteux : ses yeux deviennent plus grands et plus ronds, ses traits moins anguleux... D’incarnation terrifiante du péril atomique, Godzilla est devenu en l’espace de quelques films un monstre cool et résolument sympa, qui ressemble désormais ni plus ni moins qu’à Casimir après une vilaine maladie de peau. Point d’orgue de cette douloureuse déchéance, Le Fils de Godzilla (1967) voit notre grosse bébête caoutchouteuse prendre en main l’éducation d’un infâme petit boudin grisâtre et geignard, gracieux comme un bonhomme de neige fait avec des crottes de nez : Minilla, son fils. Succession de saynètes digne du Village dans les nuages, qui montre notamment Godzilla apprendre à son rejeton à cracher du feu (le chiard reptilien n’arrive tout d’abord qu’à cracher des ronds de fumée), cet opus quitte le domaine de la S-F ringarde pour basculer dans une dimension totalement surréaliste, transcendant toute notion de crédibilité et de bon goût avec un panache fétide. La capilotade du mythe se poursuivra au cours de la décennie suivante. Dans le virulent pamphlet écologiste Godzilla contre Hedora (1971), notre héros pattu affronte une étrange créature qui ressemble, pour tout dire, à un gigantesque étron. Né d’un amalgame de déchets polluants, Hedora (du japonais "Hedo", qui signifie "vomissure") est une cochonnerie protéiforme pouvant voler sous la forme d’une bouse planante, et qui expulse à l’occasion des flots de gerbe colorée. Une trouvaille zoologique de première qu’on attribuera à des scénaristes pris de boisson. Peu à peu, la série s’essouffle. Après deux combats répétitifs entre le dinosaure cracheur de feu et son alter ego ferrugineux (Godzilla contre MechaGodzilla et MechaGodzilla contre-attaque), elle marque un sérieux coup d’arrêt en 1975.Revival pour le meilleur et pour le pireN'est-ce pas faire preuve d'un respect mal compris de la nature et de l'ordre des choses que de se laisser limiter par l'apparence fortuite que revêt le monde ? C’est ce que semble se dire Godzilla dans le remake Godzilla 1985 qui le montre écrabouillant des tramways et mâchouillant des portions de rocade avec un entrain retrouvé. Le succès commercial étant au rendez-vous, la saga est relancée. Nantis de plus gros budgets et d’effets spéciaux à la pointe de la technologie, les scénarios continuent néanmoins à multiplier les prétextes les plus fumeux, pour justifier les empoignades gauches d’acteurs invariablement engoncés dans des costumes en caoutchouc et piétinant furieusement d’innocentes maquettes de Tokyo. En 1998, le duo américain Roland Emmerich / Dean Devlin (Stargate, Independence Day) saccage la franchise en lâchant le lézard atomique entre les buildings new-yorkais pour une gigantesque partie de cache-cache avec Matthew Broderick et Jean Reno (car, malgré ses 120 m de haut, le facétieux reptile parvient sans mal à s’abriter dans les égouts). À l’origine réveillé par les essais nucléaires des Etats-Unis dans le film de 1954, Godzilla est ici tiré de sa sieste par les atomisations répétées de l’atoll de Mururoa par nous autres andouilles de Français. D’une idiotie rebelle à toute description, ce remake boursouflé de dollars trahit la tradition nippone du costume en latex et de la maquette artisanale en ayant recours aux images de synthèse. Inadmissible ! En 2005, à plus de 50 ans, Godzilla remonte une 29ème fois sur le ring pour ce que la Toho présente comme un ultime baroud d’honneur. Sorte de best of de la saga, Godzilla Final Wars voit le reptile irascible remettre en jeu son titre de roi des monstres à l’occasion d’un gigantesque tournoi de catch avec toutes les bestioles croisées au cours des précédentes décennies. Une sympathique aberration filmique de plus censée conclure une carrière bien remplie… mais les fans les plus acharnés de Godzilla, entité indestructible mille fois morte mille fois ressuscitée, ne peuvent croire que plus jamais on ne verra la silhouette pataude de leur idole s’ébaudir au milieu de maquettes…

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