Tribu Tiersen

Portrait / Yann Tiersen, musicien. qui aurait parié en 1995 que ce jeune touche-à-tout, hantant l'underground rennais avec ses miniatures instrumentales, deviendrait en une dizaine d'années une figure centrale de la scène française ? Emmanuel Alarco

Nous sommes en février 98. Depuis quelques semaines, le buzz monte autour d'un parfait inconnu qui se paye le luxe d'inviter rien moins que Dominique A sur son disque par ailleurs essentiellement muet. Le gars s'appelle Yann Tiersen, a de faux airs de Corto Maltese introverti et son troisième album, Le Phare, arrive à nos oreilles via le jeune label nancéen Ici d'ailleurs. Évidemment, avec un titre et un nom pareils, la Bretagne est dans le coup, mais le spectre d'un avatar branchouille d'Alan Stivell pour lecteurs des Inrocks s'envole dès la première écoute ; les effluves folkloriques affleurent par instants, mais elles s'accompagnent toujours d'une belle sobriété et d'un esprit rock porteur d'efficacité et d'énergie brute. Il faut dire que le gars se charge en personne de jouer de la quasi-totalité des instruments, faisant preuve d'une polyvalence impressionnante : piano, violon, guitare, banjo, clavecin, accordéon, vibraphone, mélodica... Une liste à rallonge qui laisse deviner l'étendue de la palette de ce franc-tireur qui superpose les mélodies comme un forcené, aussi à l'aise dans les cavalcades effrénées qu'à l'heure du répit le long de sublimes plages épurées. À l'aise également quand il s'agit de faire chanter les autres : la fragile Claire Pichet et, celui par qui le succès arrive, Dominique A en personne. Fort de son statut (et Dieu sait que la question le travaille !) de "père" de ce nouvel élan de la scène française, le faux Nantais illumine Le Phare de ses deux interventions remarquables : les évocateurs Bras de mer qu'il offre à son nouveau camarade de jeu et le "classique" Monochrome, vibrant sommet à la langue de Shakespeare toute... tiersenienne ! Seul ou bien accompagnéLa musique singulière du Breton rencontre enfin son public et son label fête ça en rééditant sans tarder ses deux premiers opus, La Valse des monstres et Rue des cascades, enregistrés en 95 et 96 dans des conditions plus archaïques mais avec un même souci d'opulence artisanale (à jouer de tous les instruments du monde, on est forcément moins limité !). On parle de Michael Nyman, de Nino Rota, de Pascal Comelade (surtout à cause du piano jouet), de bandes originales de films... Tiersen lui s'en fout et multiplie les concerts. Seul sur scène, il réussit l'exploit de glisser d'un instrument à l'autre (voire d'en entreprendre deux à la fois !) sans que cela ne passe pour... un exploit ! En toute simplicité, il offre d'émouvantes relectures de ses morceaux et fait de chaque soirée un moment précieux ; logique poussée à son paroxysme lors d'une gargantuesque Black Session rennaise en décembre 98. Une musique souvent instrumentale à la puissance d'évocation certaine, il n'en faut pas plus au monde des images pour commencer à lui faire les yeux doux : Erik Zonca utilise Rue des cascades comme générique de fin pour La Vie rêvée des anges, Téchiné en remet une couche dans Alice et Martin, la télévision pille son répertoire pour illustrer le moindre sujet de proximité... L'intéressé, lui, poursuit son bonhomme de chemin en retrouvant ses 15 ans et ce rock qui à l'époque l'avait dérobé à l'univers trop sage des conservatoires. L'élève doué avait alors laissé tomber violon et piano pour empoigner basses et guitares dans une montée d'électricité adolescente prévisible. L'album s'appelle Tout est calme et dans la droite ligne du concert rennais et des nombreuses dates partagées avec Christian Quermalet, Tiersen n'y occupe qu'une moitié de l'affiche, laissant aux Married Monk du sieur Quermalet le soin d'occuper l'autre. Après avoir emmené les instruments classiques vers d'autres horizons, l'homme aborde ici la chanson de manière plus frontale, en mouillant lui-même la chemise (et les cordes vocales) et en s'appuyant sur l'énergie et l'inventivité mélodique de ses sparing partners.Destin fabuleuxC'est à l'orée du printemps 2001, après une année essentiellement consacrée à la composition (et à quelques collaborations : Françoiz Breut, Ez3kiel...), que la bombe à retardement explose littéralement. En deux temps. Tout d'abord avec L'Absente, cinquième album studio à l'ambition orchestrale sans précédent, ensuite et surtout avec la bande originale du Fabuleux destin de qui vous savez. Pour habiller musicalement son Montmartre de carton-pâte, Jean-Pierre Jeunet a, tel un journaliste de Thalassa ou d'Envoyé spécial, puisé dans la discographie du Breton tout en lui commandant par ailleurs quelques pièces inédites. Le tout compilé et floqué du visage poulinisé d'Audrey Tautou s'écoulera à plus de 700 000 exemplaires et ne sera évidemment pas sans conséquence sur le succès (bien sûr moins démentiel) de L'Absente. Un album champagne qui outre la présence d'invités de marque (Dominique A (pour changer), Neil Hannon, Lisa Germano, les Têtes Raides, la comédienne Natacha Régnier) sonne le début d'une collaboration en grande pompe avec l'Ensemble Orchestral Synaxis et ses 35 musiciens ; collaboration qui se poursuivra sur scène lors de deux concerts exceptionnels à la Cité de la Musique (immortalisés sur l'enregistrement live C'était ici). Après deux années bien remplies (la BO de Good-bye Lenin !, un disque à quatre mains avec la folkeuse Shannon Wright), Yann Tiersen nous revient aujourd'hui avec un album en forme de best of de nouveaux morceaux qui, mieux que son prédécesseur, réussit la synthèse d'une décennie d'escapades stylistiques. Mille-feuilles autarciques, grand orchestre, voix amies, tout ce qui a fait cette première décade de musique et de rencontres est au menu de ces Retrouvailles comme pour clore un chapitre en beauté, tourner une page, sans oublier bien sûr de glisser une ou deux pistes pour la suite...Yann TiersenAlbum : "Les Retrouvailles" (Labels/EMI)

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