En sous-terrain

Les lieux de culture alternative, en dépit de leurs conditions forcément incertaines, continuent à animer les nuits grenobloises de leurs initiatives de plus en plus variées. Compte-rendu à haute teneur subjective de notre correspondant. Par Régis Autran

Le Chapitonom’ des 400 Couverts4 et 10 traverse des 400 Couvertschapitonom@altern.orgJeudi, 20h30. J’entame mon petit tour des milieux alternatifs grenoblois avec un spectacle ombres et musique électro-acoustique de Maki, au Chapitonom’ des 400 Couverts. Le prix de l’entrée est libre, le public nombreux au vu de la taille du lieu. Pressé par la nécessité de remédier à une carence peu louable, je me dirige vers le bar estampillé “Cave à Kiki” où on me sert une BAB (Bière Artisanale Biologique). On annonce le début du spectacle, tout le monde s’assoit sagement par terre ou sur des sièges, ça y est ça commence, non, un individu en veste orange surgit, il a des trucs importants à nous dire avant. Il y a tout d’abord ces vélos qui gênent devant l’entrée, les riverains n’apprécient pas plus que ça. On évoque ensuite les menaces d’expulsion, l’occasion de rappeler au passage que le quartier constitue ni plus ni moins que le fief de Max Micoud et qu’ici dans ce squat on est cernés par des gens qui votent pour «la droite conservatrice voire pire». Puis on annonce les soirées à venir, dont «un film sur deux ethnologues pris en otage par les Papous, un peuple qui a beaucoup été exterminé». Les lumières s’éteignent, place aux artistes. Accroupis derrière un drap blanc, des types agitent leurs mains et plein d’autres trucs devant des loupiotes sur fond de sonorités expérimentales à base de mélopées tribales ponctuées de zdoing zdoing et de krâou krâou. N’empêche je suis sous le charme, et pendant une heure je me retrouve dans la peau d’un gamin qui cherche des formes familières dans les nuages. Les lumières se rallument, clapclapclap, je vais voir le monsieur en veste orange. Une discussion un peu laborieuse s’engage, ici on revendique une culture militante, une culture engagée, moi je veux juste qu’on m’indique un autre endroit alternatif où aller. On me propose une tartine de chou rouge. Un chien passe. Finalement une âme charitable m’oriente vers La Boum.La Boum 20 rue Marceauhttp://1985.notfrench.com/Pas de programmation ce soir-là à La Boum, mais des gens résolument ouverts. Ouvert fin décembre 2004, ce squat est en situation on ne peut plus précaire (l’huissier est encore passé le matin même) et espère pouvoir pérenniser son installation. Le site a du potentiel : c’est tout d’abord et avant tout le QG du label de musique gratuite 1985 Records, qui regroupe aujourd’hui une trentaine d’artistes de trois continents différents. Mais on y croise aussi plus ou moins régulièrement les agitateurs de Mollusk Mutant With Mullets, Totemko, Youth industrY... Le constat à l’origine de La Boum est toujours le même : Grenoble a un gros potentiel créatif mais manque de lieux pour lui donner corps. D’où la volonté de créer plus d’espaces culturels accessibles à tous. Je pose mes questions avec un panache un peu fétide (j’ai des renvois de BAB), on y répond avec clarté. Comment compte t-on s’y prendre ? Par la mise en commun de matériel (informatique, photo, sérigraphique...) et d’une salle de répèt’ à disposition des collectifs artistiques locaux d’une part, et une diffusion gratuite de la culture de l’autre. Pourquoi un nouveau squat ? Parce que plus il y aura d’endroits comme celui-là, mieux la culture alternative s’en portera, de même qu’«il n’y a pas qu’une seule boulangerie dans Grenoble», il faut de la diversité, merde. Les projets foisonnent, certains se cristallisent déjà, comme la projection de films tous les dimanche, des films du genre de ceux qu’on ne voit nulle part ailleurs. Certains de mes interlocuteurs se lèvent pour aller à l’Adaep, je suis le mouvement.L’Adaep 163 cours Berriathttp://adaep.free.frArrivée à l’Adaep pour une soirée drum’n bass / Breakcore. Le jeune pullule. Sarah, l’Américaine de La Boum, me propose d’aller discuter avec Parvyn et Régis, les organisateurs de la soirée. Le tandem constitue le noyau dur du collectif P(o)ulp. J’engage d’abord la conversation avec une Parvyn aphone dont les paroles surnagent à peine parmi le magma sonore. Je lui explique que depuis la fermeture du Mandrak, j’ai complètement déserté le milieu alternatif grenoblois. Elle me répond que oui, c’est sûr, le Mandrak c’était mythique, un endroit vachement grand avec une grosse programmation, mais qu’en termes d’artistes et de public, le potentiel reste inchangé et qu’il n’y a qu’à se bouger pour essayer d’assurer la relève. Elle illustre son propos en me parlant de la soirée Terrorisme au Crocoléus, de la Bouillave Party, d’expo-projections, de la soirée Cathodic Never Dies avec Totemko, d’El Shopo, d’Azatoth Operator, la conversation prend des allures de name-dropping, j’ai un peu de mal à suivre, mais il faut dire aussi que j’ai une furieuse tendance à poser des questions à la con. Régis prend le relais, il est enthousiaste à l’idée de passer du breakcore. Parvyn le dit d’ailleurs avant de s’éloigner, index pointé vers le plafond : «il n’y a pas de breakcore à Grenoble !». Depuis la fermeture de l’Entre-Pôt, l’Adaep représente pour lui une des toutes dernières salles intermédiaires entre les petits lieux de diffusion et le Summum. A Rennes, dont il est originaire, il y a toujours eu 3 ou 4 salles avec des capacités de 500 à 1000 personnes, ce qui manque spécifiquement chez nous. Mais Grenoble a selon lui «une bonne culture de squats». Je lui demande de m’aiguiller vers un autre pôle alternatif, son choix se porte sur le Crocoléus. Vu l’heure, ce sera pour demain.Le Crocoléus1, rue Boucher de Perthes / 70 rue Nicolas Chorier04 38 12 81 77Vendredi, fin d’après-midi. Le crokollectif m’accueille, un peu malade mais ça va. On prépare du café, pour moi ce sera un jus de fruit. Puis c’est plus fort que moi, je me remets à poser plein de questions un peu couillonnes. Oui, ne pas avoir de subventions est un peu risqué, évidemment, mais l’avantage c’est une indépendance totale quant aux choix artistiques. Non, pas forcément besoin de grandes salles, ici on préfère les lieux intimes, les lieux qui ont une couleur, pleins de petits endroits valent mieux que deux ou trois grands. Pour la promo on compte sur le bouche à oreille, on fait parler les murs. Je met un peu trop l’accent sur les programmations nocturnes, on me rappelle que cette maison squattée depuis 2001 est tout autant un lieu de vie qu’une salle de spectacles, on me ressert du jus de fruit. Les membres du collectif du Crocoléus ont tous entre 30 et 40 ans, et un recul certain sur les milieux alternatifs grenoblois. Le terme même, “alternatif”, les fait sourire à raison, un terme galvaudé au possible, perverti. Du coup on se méfie des modes, de leurs “découvreurs” et de leur réappropriation. On ne veut avoir de comptes à rendre à personne, on me confie un livre intitulé La Philosophie du punk, le 17 avril il y aura un apéro-concert avec trois formations dont le groupe maison Glop ! Je me laisse piloter vers le 102.Le 102102 rue d'Alemberthttp://www.le102.org/Arrivée vers 21h, juste à temps pour suivre un docu sur le conflit israélo-palestinien en anglais sous-titré espagnol. La projection est suivie d’une discussion avec une Palestinienne réfugiée au Liban, un Israélien de Tel-Aviv et un dernier Palestinien. Les questions fusent. Quelqu’un demande si finalement cette guerre n’est pas qu’une sorte de jeu, si les deux camps ne risquent pas de s’ennuyer au fond si jamais elle prenait fin. Diplomate, le collectif traduit judicieusement le propos en l’orientant sur les phénomènes d’accoutumance à la violence dans les populations au cœur de conflits. On achève bientôt le débat, le trio proche-oriental est fatigué, il leur faut encore faire la tournée des pays de l’Est de l’Europe. Je me dirige vers le coin buvette, y avise un alignement de BAB., les mêmes qu’aux 400 Couverts. J’ai un arrière-goût de levure dans la bouche. Je discute un peu, ici aussi on souligne que l’endroit n’est pas exclusivement un lieu de festivité nocturne, on refuse les étiquettes. C’est un lieu de diffusion et de création mais aussi d’expériences, d’information, de recherche, un véritable labo fonctionnant hors de toute logique marchande : la programmation ne vise pas à remplir la salle pour se remplir les poches, on fait venir qui on veut pour un prix d’entrée libre. J’opine mais je suis crevé. A côté de moi, deux midinettes sont occupées à refaire le monde avec de grandes phrases un peu creuses. On me conseille Kaugumi pour boucler mon petit tour des cultures underground. Il me semble que Kaugumi est sur Lyon mais j’ai trop sommeil pour objecter quoi que ce soit.Youth IndustrY http://www.youth-industry.com/Samedi. J’avais vu juste, Kaugumi n’est plus sur Grenoble mais plus ou moins en périphérie du squat lyonnais Grnd Zero, qui est d’ailleurs en train de péricliter, entouré de CRS, mais comme les connexions du réseau sont nombreuses je suis réorienté vers la Youth industrY, un label vidéo grenoblois plus ou moins né des cendres du Mandrak qui réunit vidéastes, clippers, graphistes, et musicos. But : réaliser de la vidéomusique pour les groupes underground locaux et la diffuser lors de concerts, festivals de musique et festivals de vidéo. Sans prétentions auteurisantes. Mr Jeune et Nuisible, le binôme de la YY, revendiquent un esprit “do it yourself” résolument décomplexé. On leur doit déjà le moyen-métrage Les 6 Dreads de l’Enfer et ils nous annoncent Burn Paris Burn pour novembre, un long-métrage riche en persos «inspirés par les bacs à disques de la FNAC» avec à nouveau une BO composée d’une foultitude de groupes. «Les forces alternatives grenobloises se fédèrent peu à peu, il va bientôt se passer… quelque chose». Ainsi parle la Youth industrY. Mr U. est là, lui aussi. Mr U. a organisé les fameuses Nuits du Navet au Mandrak, dont il a été le président pendant un an. Il les a aussi projetées un peu partout en France, dans des squats et des drive-in improvisés, et jusqu’à Mostar à l’occasion du Festival Drugi Most en 2001. Pour lui, le milieu alternatif grenoblois reste encroûté dans un communautarisme de tribus urbaines assez pesant. Ce sera la dernière pensée de cette immersion temporaire.

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