Dans les pas d'Eugénie

Exposition / La nouvelle exposition du Musée Dauphinois révèle l’ethnographe pionnière et majeure que fut Eugénie Goldstern. En découvrant son œuvre basée sur l’observation des régions alpines frontalières se dessine, imbriquée, l’existence d’une femme juive persécutée d’une guerre à l’autre. Séverine Delrieu

Cette exposition sobre, fouillée, complète, dont la scénographie engendre pour nous immersion, est non seulement le portrait d’une femme et scientifique d’exception encore peu, ou pas du tout connue en France – et qui demandait véritablement à l’être - à travers une présentation d’une grande partie de ses travaux (collectes d’objets, photographies), et la publication de ses rapports basés sur l’observation de multiples communautés alpines. Œuvres complètes publiées par le Musée Dauphinois qui permettent d’approfondir la découverte du travail de cette ethnographe précise qui su partir de l’observation participante pour nourrir ses analyses, et établir des liens avec d’autres peuples. Grâce soit donc rendue au Musée Dauphinois et à ses partenaires les musées de Savoie, de Marseille et le Musée autrichien d’ethnologie de Vienne, d’avoir pu rendre possible une telle exposition qui restitue la juste place à l’œuvre de cette ethnologue juive, érudite, parlant de nombreuses langues et sensible aux autres ; une œuvre qui est intimement liée à sa vie. Soit la vie d’Eugénie Goldstern placée sous le signe de tragiques fuites successives. Odessa, VienneEugénie Goldstern est née en 1884 à Odessa, en Ukraine. Mais sa famille est originaire du vaste empire austro-hongrois et plus précisément de Lemberg, en Galicie. Les pogroms de la seconde moitié du 19e chassent une première fois la famille qui trouve refuge à Odessa dans le grand empire tsariste ; et c’est donc là que naquit Eugénie, au milieu d’une famille de treize enfants. De nouveau, les pogroms de 1905 chassèrent la famille, qui retourne s’installer dans l’Empire austro-hongrois, à Vienne. Très tôt, Eugénie se passionne pour l’ethnologie, et lutte malgré le contexte peu propice pour une femme juive dans cette Europe troublée d’étudier, de se former. Des figures importantes l’y aideront, les professeurs Michael Habrlandt, Arnold Van Gennep, Rudolf Zeller et Paul Giradin, avec qui elle soutiendra sa thèse. Entre 1912 et 1924, elle effectue des recherches dans tout l’arc alpin, en Savoie, dans les Grisons et le Munstertal, dans le Val d’Aoste, en Autriche. Mais le principal travail a été réalisé en Maurienne, dans le village de Bessans où elle réside l’hiver 1913, en s’immergeant dans la vie des villageois. Ce sera le sujet de sa thèse. Vers 1924, ses travaux et études sont écartés par le nouveau directeur du Musée d’ethnographie de Vienne, Arthur Haberlandt proche de l’idéologie nazie. Vingt ans avant d’être déportée dans le camp de Sobibor en Pologne en 1942, où elle sera gazée à l’âge de 58 ans, s’effacent toutes traces professionnelles, toute présence d’Eugénie Goldstern sur la scène scientifique.Une approche moderneLa force de l’exposition, composée de trois parties, réside dans cette plongée immédiate dans le travail de l’ethnologue. Et, fort logiquement, la première salle rassemble les travaux qu’elle réalisa dans le village de Bessans, en Haute-Maurienne à l’âge de 29 ans. Tout proche de chez nous. Tout proche, c’est ce qu’elle fut aussi avec les villageois. À travers ses nombreuses collectes d’objets (provenant des collections du Musée d’ethnologie viennois), ses photographies, et ses écrits – cette combinaison est tout à fait novatrice pour l’époque - nous saisissons la vie du village. Sont présentés des objets sous vitrines pour la préparation du fromage, la confection de la dentelle, des objets religieux et notamment les fameux diables de Bessans, des études sur l’habitat, patrimoine et mémoire inestimables. Le tout entouré de ses clichés de montagnards, tirés en grands formats et couvrant les murs. Vers 1918, son intérêt se porte particulièrement sur les jouets qu’elle collecte dans les Alpes suisse, italienne et autrichienne, une époustouflante collecte présentée dans une deuxième partie. Souvent réalisés par les anciens dans du bois, les jouets représentent de très schématiques animaux. Dans la région des grisons, elle collecte des bâtons à encoches, qui permettent d’établir la comptabilité du lait, vestiges très rares ; ou encore un livre en bois d’alpage. Une magnifique collection de quenouilles polychromes, des luges, une roue du Val d’Aoste qui reste encore une énigme, une tête de christ des Bauges, sont entre autres les trésors à découvrir. La dernière partie enfin, relate le retour à Vienne, sa vie intellectuelle, et la montée de l’antisémitisme, jusqu’à son extermination à Sobibor. À travers des documents d’archives, des cartes, des films d’époque, des documents officiels, l’Histoire et l’histoire Eugénie Goldstern nous deviennent proches, et si émouvantes. Soulignons enfin, que le Musée propose durant la période d’exposition, des visites théâtralisées : les comédiens Nicole Brisa, et Michel Ferber diront des textes écrits par l’ethnologue, afin de nous dévoiler la pertinence de ses observations et la beauté de ses textes.Eugénie Goldstern, Être ethnologue et juive dans l’Europe alpine des deux guerres jusqu’au 30 juin 2008, au Musée Dauphinois

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