Morts de rire ?

La nouvelle édition du Festival International du Film de Comédie de L’Alpe d’Huez est la traditionnelle occasion pour s’entretenir avec Pierre de Gardebosc, dirigeant de MC4 Distribution et directeur artistique de l’événement, sur l’état du cinéma en général et de la comédie en particulier. Propos recueillis par François Cau

Si on regarde les box-offices mondiaux, les comédies nationales qui ont cartonné en 2007 fonctionnent souvent sur des particularismes locaux, et témoignent d’une espèce de repli identitaire du rire…Pierre de Gardebosc : Effective-ment, on pourrait être tenté de dire ça. Ne serait-ce qu’au niveau français, on s’est retrouvé avec des films un peu franchouillards. Pas forcément dans le pire sens du terme, mais on reste dans des tendances très classiques, très grand public, avec de plus en plus de productions autour de thèmes faciles à revisiter, je pense notamment à L’Auberge Rouge. Mais outre ce repli sur des éléments nationaux, l’autre problème que j’ai pu constater c’est l’absence de comédies véritablement hilarantes ; si on rentre dans des formats plus indépendants, on est toujours dans une comédie dramatique, ou avec des éléments tragiques, mais jamais totalement comique. Après, le problème peut être inversé, comme dans le cas du dernier Astérix : ils sont revenus à ce qu’avait fait Claude Zidi sur le premier épisode, un produit hyper classique, qui va pouvoir se vendre dans tous les pays européens où la BD fait recette. Contrairement au film de Chabat, qui était d’une grande originalité, mais qui ne parlait qu’au public français. L’argument créatif s’élargit exceptionnellement au niveau européen, mais dès qu’on cible un territoire, les répercussions à l’étranger ne sont pas évidentes. Si on prend le cas des comédies italiennes ou espagnoles contemporaines, elles ne passent pas la frontière non plus. Par exemple, Le jour avant l’examen, qu’on avait montré l’an dernier à l’Alpe d’Huez, n’a pas été distribué en France, mais TFM a racheté les droits pour produire un remake… Il y a une espèce de frilosité, un repli de la comédie sur soi-même, sur son vécu, qui parle à des publics bien spécifiques. Un retour à un passéisme pas forcément négatif, mais où les gens se rassurent en revisitant un passé fantasmé.Est-ce que la comédie contemporaine abandonne ses oripeaux contestataires au profit d’une assimilation des logiques sociétales et capitalistes, et n’offre plus à la société de reflet déformant et critique, mais juste un reflet ?Tout comme les journalistes français ont tendance à s’autocensurer sur les démarches gouvernementales, il y a effectivement une pensée unique, qui fait qu’on n’ose plus dire les choses avec la même assurance qu’aupara-vant. Ou alors, si on les évoque, on est marginalisé, comme le dit Pierre Carles par rapport à la télé. On n’a plus de films qui provoquent véritablement à travers l’humour, sur des sujets de société très forts, ce que faisaient très bien les Italiens dans les années 60 et 70. C’est tentant de blâmer les producteurs et les financeurs pour ce marasme, mais n’y aurait-il pas de plus en plus une forme d’autocensure des réalisateurs eux-mêmes, qui participent à valider cet état d’esprit ?Même à notre niveau, au festival de l’Alpe d’Huez, on se demande souvent “est-ce que je dois montrer ça ?“, le public de l’événement est plutôt familial, traditionnel. Est-ce que si l’on montre Mein Führer (comédie dramatique allemande sur un “coach“ juif d’Adolf Hitler, sortie le 12 mars, NDLR), ça va choquer ? Peut-on montrer des films que les gens n’iraient pas voir en salles ? Je n’ai pas de réponses, mais je sais que si on ne propose que des films classiques, ça ne va pas non plus, il faut un peu provoquer. D’où la présence en compétition de Juno, un film américain indépendant avec quelques éléments assez trash, un peu dans la lignée de Little Miss Sunshine.Est-ce que la sélection 2008 du Festival International du Film de Comédie offre de nouveaux horizons comiques ?Je n’ai pas senti véritablement de nouvelles pistes, y compris dans les films vus et non retenus dans la programmation, à part peut-être Juno. Notre univers impitoyable de Léa Fazer et Fool Moon de Jérôme L’hotsky versent un peu dans la comédie sociale à l’italienne de la grande époque, mais discrètement, sans grandes remises en question.Pour finir, je suppose que tu as entendu parler des évaluations des ministres, de leur carnet de notes sur tel ou tel critère, et que parmi les éléments de jugement du Ministère de la Culture, il y a les résultats des films français au box-office national… Est-ce que cette logique peut entraîner des changements dans la production ?Je trouve ça totalement aberrant, je ne vois pas comment la Ministre de la Culture peut influencer les goûts des gens, ou tout simplement leur envie d’aller au cinéma. Que les producteurs, distributeurs ou autres acteurs se remettent en cause par rapport à tel ou tel film, pourquoi pas, mais l’une des lois élémentaires, c’est qu’on ne sait jamais si un film va marcher ou pas. Les Animaux Amoureux, par exemple, tablait sur 1, 5 millions d’entrées, et il va finir à 100 000. La graine et le mulet, le distributeur n’y croyait pas, l’a sorti sur à peine 80 copies, et il en est à 300 000 entrées. Il faut qu’on m’explique comment Christine Albanel peut prédire ce genre de choses, car même avec une ingérence totale du Ministère de la Culture sur le choix des sujets, en fonction de ce qui marche ou non, on ne peut jamais prévoir la réussite d’un film avant le mercredi à 14h. Par exemple, si on prend la période de Noël, les stations de ski étaient remplies et leurs salles de cinéma étaient vides, tout bonnement parce qu’il n’y avait aucune offre. Une autre règle, c’est qu’on ne peut pas forcer les gens à aller au cinéma.11e Festival International du Film de Comédie de l’Alpe d’Huezdu mar 15 au sam 20 jan, au Palais des Sports et des Congrès (Alpe d’Huez)

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