Sous haute surveillance

Alternant sans répit métrages de fiction et documentaires depuis près de 25 ans, Marc Levin n’a de cesse de mettre en lumière la face cachée de l’Amérique contemporaine. À l’occasion de la sortie en DVD de Mr Untouchable, portrait d’un réalisateur indépendant aussi méconnu que passionnant. Damien Grimbert

Élevé par un père lui-même réalisateur de documentaires pour la télévision, Marc Levin ne tarde pas à suivre les traces de ce dernier. Il fait ses débuts au milieu des années 70 sous la tutelle d’une des légendes du journalisme américain de l’époque, Bill Moyers. Aux côtés de ce dernier, il réalise pendant 10 ans de nombreux documentaires pour la chaîne PBS, abordant sans détour des sujets controversés : drogue, racisme, guerre des gangs, failles du système judiciaire… En 1985, il signe son premier long-métrage, Wall Street Connection, consacré au milieu de la finance, avant de récidiver 3 ans plus tard avec The Secret government : the constitution in crisis, portrait acerbe du monde de la politique. Récompensé par un Emmy Award, le film va lui permettre de passer à la fiction en 1991 avec Blowback, où un agent de la CIA fanatique menace de lancer une attaque bactériologique sur Miami. La même année, il crée sa propre maison de production, Blowback, par le biais de laquelle il produira par la suite la majorité de ses films.L’Amérique en pleine gueule
Après une deuxième fiction en 1992, The Last Party, avec Robert Downey Jr., Marc Levin replonge dans le documentaire télé, où il peaufine rapidement sa marque de fabrique : des sujets explosifs, mais traités sans voyeurisme, qui malmènent douloureusement l’American Way of Life. Mob Stories, Prisoners of the War on Drugs, Execution Machine : Texas Death Row, Soldiers in the Army of God, Gladiator Days, Thug Life in D.C., Gang War, CIA: America's Secret Warriors… Au-delà de leurs titres évocateurs, les films de Levin pour HBO et Discovery Channel ciblent déjà bien les clés de voûte de son œuvre : violence, quête de pouvoir, conspirations, problèmes raciaux, culture des gangs, dysfonctionnements sociaux et politiques…
En 1998, il retourne à la fiction avec Slam, l’histoire d’un jeune du ghetto (interprété par le talentueux slammeur, poète et musicien Saul Williams) qui va utiliser l’art du verbe pour sortir indemne, et transformé d’un séjour en prison. Déjouant avec brio le didactisme apparent de son scénario, Marc Levin livre un film magnifique, et rafle au passage le grand prix du jury au festival de Sundance, et la caméra d’or à Cannes.Noirs et blancs
Dès lors, le réalisateur voit les propositions affluer, et tente sa chance sur différents supports, de l’ultra-réaliste série télévisée policière Street Time à Twilight Los Angeles, œuvre hybride et novatrice fusionnant one-man-show et documentaire sur le thème des émeutes de Los Angeles ayant succédé à l’affaire Rodney King… Il va également clore sa trilogie consacrée à la culture hip-hop entamée avec Slam avec deux nouveaux métrages, Whiteboys, et Brooklyn Babylon. Si ce dernier, love-story impossible entre une juive orthodoxe et un rasta jamaïcain dans le quartier new-yorkais de Brooklyn, s’avère assez conventionnel, Whiteboys dévoile au contraire une nouvelle facette du réalisateur. Comédie à la fois hilarante et tragique sur le phénomène « whiggaz », ces jeunes blancs américains fascinés par la culture noire du ghetto, le métrage suit les traces de trois ados white trash d’un bled paumé de l’Amérique profonde, persuadés d’être « noirs et dangereux ». Casquettes à l’envers, et hip-hop à plein volume dans le pick-up truck, ces rednecks touchants taguent les granges avoisinantes et fantasment sur l’apparition de Snoop Dogg et de strip-teaseuses sexy au milieu des champs de maïs. Piégés au court d’un deal foireux lors d’une escale dans les bas quartiers de Chicago, ils vont plonger dans une réalité bien plus hardcore qu’ils ne l’appréhendaient dans leurs fantasmes.Légendes urbaines
Depuis, Marc Levin est retourné au documentaire avec Godfathers and Sons, un volet de la prestigieuse série des films sur le blues produite par Martin Scorcese, dans lequel le réalisateur trace les filiations entre le blues originel et le hip-hop d’aujourd’hui. Plus récemment, il s’est attaqué à un sujet percutant comme il les affectionne, au travers des Protocoles de la rumeur, documentaire incisif qui le voit enquêter sur la montée de l’antisémitisme et des théories conspirationnistes suite aux attaques du 11 septembre 2001.
Mais c’est avant tout avec Mr Untouchable qu’il signe son grand retour, ce portrait du plus puissant dealer noir américain des 70’s lui permettant de relier enfin toutes les thématiques qui lui sont chères. Ancien junkie parti de rien devenu en l’espace de quelques années l’un des plus gros trafiquants d’héroïne de New York, Nicky Barnes est un personnage fascinant. Une légende vivante dans son quartier natal de Harlem qu’il a pourtant plongé dans l’enfer de l’addiction et des assassinats sommaires, un criminel érudit appliquant violemment dans la rue les leçons tirées de la lecture du Prince de Machiavel. Mais aussi une balance qui, une fois arrêté, n’hésite pas à se venger de son gang en dénonçant à la police pas moins de 70 individus.
Alternant fluidement images d’archives et interviews des principaux protagonistes (dont Nicky Barnes lui-même), et rythmé par une bande-son piochant allégrement dans tous les classiques blaxpoitation de l’époque, Mr Untouchable s’érige en véritable modèle de documentaire, confirmant tout le bien qu’on pensait d’un réalisateur qui mériterait d’être plus souvent mis en avant.Mr Untouchable de Marc Levin (EU, 1h32) documentaire, sortie le 7 mai chez Wild Side Video

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