Des contes à régler

L’histoire du cinéma dans les années 2000 restera-t-elle comme un long bras de fer avec la télévision dont l’enjeu est la domination du récit ? Christophe Chabert

Nos amis journalistes de retour de Cannes, il est temps de leur passer un bon savon. Pas pour leur couverture du dernier festival — on le fera peut-être à la rentrée quand on aura vu les films… Mais pour une affaire qui remonte trois ans en arrière et qui vient de nous éclater à la figure : le lynchage terrible subi par Southland Tales de Richard Kelly, en compétition officielle et tellement détesté que le film a mis des plombes avant de sortir sur les écrans anglo-saxons. En France, tintin. Même le DVD se fait attendre chez nos amis de Wild Side. Non seulement Southland Tales est une œuvre géniale, mais il opère une synthèse à peine croyable de toutes les questions qui traversent les images d’aujourd’hui. Kelly y invente une forme où tout ce qui peut trouver asile sur un écran — flash info, vidéo youtube, clip, images de surveillance — est ingérée, digérée et recrachée dans un ensemble bordélique et jouissif, avec la seule puissance du récit comme force centrifuge. Les «Contes» du titre sont à prendre au pied de la lettre : ce futur proche et apocalyptique possède l’aura visionnaire de la contre-culture. Kelly raconte la fin du monde comme s’il s’agissait du début d’une nouvelle ère où les limites de la narration seraient repoussées par un metteur en scène qui organise le chaos technologique.Guerilla narrative
Southland tales est la réponse cinématographique la plus fulgurante à la question qui hante le cinéma depuis le début de la décennie : comment cet art populaire qu’on pensait insubmersible pouvait-il se défendre face à l’offensive des séries télé, nouvelles machines à fiction dont les durées démentes offrent un terrain de jeu idéal à leurs concepts ambitieux. Combat inégal, dont on a cru d’abord qu’il allait se solder par une passe en retrait : Collateral, Miami Vice ou Inside Man donnaient le sentiment que c’est en sacrifiant le récit au profit d’une séduction nonchalante et atmosphérique que le cinéma pouvait conserver une partie de son territoire.
Mais à cette victoire à la Pyrrhus, d’autres ont préféré la guérilla. Robert Rodriguez dans Planète terreur répond par un récit à tiroirs dans lequel toutes les idées, même les plus folles, trouvent leur justification finale dans un scénario moins baroque qu’il n’y paraît. On est entre pulp et bédé, mais il manque encore le roman, ce que Desplechin dans son soufflant Un conte de noël et Kelly dans Southland Tales n’ont pas hésité à introduire. Ces longs films ont une foi sans faille dans les possibilités du cinéma : Desplechin pour peindre cinq générations en quatre journées, Kelly pour raconter l’histoire récente avec une poignée d’individus complètement dégénérés.
Profitant d’une télé qui commence à tourner en rond, ses films-là ne tournent pas rond du tout, mais proposent un nouvel horizon à un spectateur affranchi. Le duel ne fait que commencer !

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