«J'ai mis dans Martyrs ma colère contre le monde»

Pascal Laugier, réalisateur de «Martyrs» explique sa vision du genre, et son désir de transgression et de subversion. Propos recueillis par Christophe Chabert

Petit Bulletin : Saint-Ange était, sinon esthétisant, du moins très opératique dans sa mise en scène… Avec Martyrs, vous avez choisi au contraire un style brut et réaliste. En réaction avec le précédent ?
Pascal Laugier :
Vous auriez pu dire formaliste, aussi, concernant Saint-Ange… On est forcément à l’écoute des reproches qui nous sont faits, des critiques que l’on reçoit. Mais surtout, je ne voulais pas faire à nouveau un film référentiel, un film où le cinéaste reproduit sa collection de DVD. Je pense que le fantastique actuel a tendance à tourner en rond, à se mordre la queue.Le film n’appartient pas vraiment à un genre précis, c’est une sorte de thriller…
Je revendique le fait d’avoir fait un film d’horreur, mais dans le sens le plus large du terme. En France, on a souvent une vision restrictive de ce genre, alors qu’en Amérique ou au Japon, le terme «horror» englobe aussi des œuvres très réalistes, pas forcément fantastiques. J’ai essayé de faire rentrer dans Martyrs d’autres genres en cours de route, le film de monstre, le film de fantômes…Martyrs est construit comme une montagne russe scénaristique, mais la dureté de ce qui est montré et le sérieux du film font que le spectateur ne peut pas y prendre du plaisir.
C’était fondamental. Je voulais que le film soit toujours du point de vue des personnages, des victimes, il fallait donc que j’épouse leur tristesse et leur souffrance. Si j’avais essayé de faire quelque chose de fun ou d’ironique, toute l’identification aurait été perdue. Je déteste le cinéma qui se moque de son sujet, pour qui seul compte le clin d’œil complice avec le spectateur. C’est ce qui a tué le genre dans les années 80. Je voulais revenir à l’essence subversive du cinéma d’horreur : des films qui parlent de sujets forts de façon à la fois directe et allégorique. C’est ce cinéma-là que j’ai toujours aimé. Je ne suis pas venu au genre parce que j’étais complexé par mon poids, par les boutons que j’avais sur la gueule. J’y suis venu parce que j’étais attiré par sa dimension politique et subversive.En France, quand les cinéastes font ce type de films, la subversion passe par le sadisme, la représentation de la douleur physique et mentale…
Je n’ai pas cette définition du sadisme et je ne pense pas être du côté des sadiques du film. Certains le pensent et disent que je suis un nazi et un misogyne. Je ne crois pas que Martyrs soit un succédané d’Hostel, même si je n’ai rien contre ce film par ailleurs. Je prends vraiment au sérieux la violence de ce qui est sur l’écran. D’où la partie centrale, très triste, sans effets, répétitives : il faut que le spectateur ressente ce que c’est que d’être séquestré, giflé, frappé…J’insiste : dans le fantastique espagnol, par exemple, le sujet systématique, c’est l’attaque contre la famille… En France, chez Gens, Aja, Bustillo ou dans Martyrs, c’est la souffrance physique…
Je pense aussi avoir mis ma colère contre le monde actuel, le pays dans lequel je vis, l’époque que je traverse. Pour moi, les bourreaux et les fascistes ont déjà gagné, et je ne serai peut-être plus là pour voir leur triomphe au grand jour. Cette noirceur-là est dans le film, et j’assume parfaitement d’avoir fait un film nihiliste et désespéré.La relation amoureuse entre Anna et Lucie était-elle si évidente dès l’écriture du scénario ?
J’ai toujours pensé qu’Anna était amoureuse de Lucie, mais c’était seulement suggéré. C’est sur le tournage que j’ai eu envie de clarifier les choses en y ajoutant cette scène de baiser. J’ai réuni les deux actrices le jour de la scène, je leur ai proposé de la tourner comme ça, et elles ont accepté. En définitive, c’est fondamental pour comprendre la dernière partie : le martyr que vit Anna, ce n’est pas seulement les tortures qu’on lui fait subir, c’est surtout la douleur d’avoir perdu l’être aimé. Là encore, je pense que le cinéma d’horreur peut traduire des choses fondamentales comme l’absence amoureuse. Par exemple Possession de Zulawski est le film qui dit les choses les plus fortes que je connaisse sur l’infidélité, le fait d’être trompé, de voir la femme qu’on aime nous échapper. C’est vrai que dans le film Adjani fait l’amour avec un monstre, mais moi, quand je le regarde, j’ai envie d’être amoureux, de faire l’amour avec des femmes… Quand j’ai écrit Martyrs, j’étais déprimé, ma copine m’avait quitté, et tout cela se retrouve dans le film.Dans quel état êtes-vous après la bataille autour de l’interdiction du film aux moins de 18 ans ?
Fatigué. Certaines réactions, notamment la mobilisation de principe des professionnels, m’ont vraiment fait chaud au cœur. Par exemple le Syndicat des critiques, qui ont réagi sans avoir vu le film. Certains vont le détester, mais ils se sont battus pour qu’il puisse exister en salles. Concernant l’interdiction, je me fous que mon film soit interdit aux moins de 18 ou même de 24 ans. Mais il y a une loi qui dit que ce genre de films doivent être interdits aux moins de 16 ans. Si on estime que les adolescents ne sont plus aussi mûrs qu’avant, qu’aujourd’hui pour supporter des images comme celles-là ils doivent avoir plus de 18 ans, on change la loi, on ne fait pas des combines qui ne respectent pas les principes édictés. Mais cela ne règle pas tout : le film ne sort pas chez UGC, il n’y aura que 50 ou 60 copies en France, donc de toute façon, il est déjà condamné commercialement. Je pense beaucoup plus à sa vie à l’export, dans des festivals comme Toronto ou Sitges qu’à sa sortie française. En France, quand on veut faire du cinéma de genre, on ne se sent pas aimé. C’est un constat que font tous les cinéastes. On se le dit entre nous, même quand on n’aime pas forcément les films des autres, on sait que l’on est toujours pris de haut, par les producteurs, les investisseurs, les chaînes de télé. Aujourd’hui, j’ai envie d’aller là où je me sens aimé. Peut-être qu’un jour un type va arriver et faire un chef-d’œuvre définitif du cinéma de genre en France… Mais en attendant, on est condamné à travailler comme des misérables avec quelques millions d’euros obtenus sur des malentendus.

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