«Une métaphore poétique et agressive»

Entretien / Fabrice Du Welz, réalisateur de “Vinyan“. Propos recueillis par CC

Petit Bulletin : Par rapport à Calvaire, Vinyan est un film plus sérieux, plus dur…
Fabrice du Welz : Je ne me suis pas posé la question de savoir si c’était plus sérieux, mais en tout cas, je sais que c’est un film moins potache. Certains trouvaient Calvaire très sombre et très dur, mais je l’ai toujours vu comme une comédie noire, avec un humour à la Franquin. Vinyan, de par son sujet — un couple ayant perdu un enfant pendant le tsunami, ne pouvait pas aller dans cette direction-là, et devait être plus dur. Peut-être trop…Mais comme Calvaire, il s’agit d’une métaphore : derrière l’histoire, il y a un sous texte nécessaire pour en comprendre les enjeux.
Tous les films que j’ai faits depuis mon premier court-métrage sont des métaphores poétiques et agressives. On m’a fait remarquer récemment que je traitais toujours du même thème, le deuil impossible. C’est vrai, et j’aimerais faire encore faire un film comme ça, plus extrême peut-être. Mais oui, la métaphore, c’est ce qui m’intéresse, et c’est aussi ce qui fait que les gens rentrent dans le film ou non. S’ils n’acceptent pas cette expérience sensitive derrière l’histoire, ils ne la ressentent pas émotionnellement.Cette métaphore semble travailler chaque plan, jusqu’au dernier.
Tout tend vers cette dernière image. C’est vrai qu’au départ, il y avait Les Révoltés de l’an 2000 et l’idée d’en faire un remake, puis l’enfant perdu après le Tsunami, puis le fait de filmer en Thaïlande. Mais la vraie vision derrière ce film, c’est cette ultime image. Il y a beaucoup de réflexions personnelles dans le film, l’idée qu’un enfant = un enfant, qu’il y a un choc de civilisation entre l’Orient et l’Occident… Mais ce n’est pas un film à thèse. Pour moi, le Tsunami est important d’un point de vue philosophique, car il vérifie la seule alternative possible : soit c’est Dieu la finalité de notre espèce, soit nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres et un jour, à force de défier son environnement, la nature la balaiera. C’est ça le Tsunami : en une heure, on peut être balayé ! Cela rejoint certaines de mes idées de cinéaste : comment inscrire des corps dans un environnement hostile par exemple. Ce sujet me permettait d’exprimer tout cela dans une expérience sonore et visuelle.Cela commence dès le générique, très éprouvant : vous ne filmez pas le Tsunami, vous faites subir au spectateur une douleur du même ordre…
Non, ce ne sont pas des douleurs comparables. Pour cette séquence, je n’ai pas voulu me situer dans la réalité, je l’ai travaillée comme un plasticien. Je voulais donner aux gens quelque chose à ressentir, les impacter, les mettre dans un certain état d’esprit et les prévenir que ce qui allait suivre n’était pas un thriller hollywoodien où le couple allait retrouver son enfant dans la jungle. La matrice de cette ouverture, c’est le film d’Iñarritu autour du 11 septembre. Elle était écrite de la même façon : un écran noir et juste du design sonore. Au tournage, je n’ai pas voulu refaire la même chose, donc on a essayé avec le chef opérateur Benoît Debie d’y mettre des images. On a pris un aquarium, des bulles, des couleurs, on y a mis une perruque. En découvrant les rushs, on a été surpris par leur beauté formelle ; en tout cas, cela allait dans le sens de ce que j’espérais.Cette introduction permet d’être tout de suite en empathie avec le couple, sans même savoir pourquoi ils ont l’air meurtris, pourquoi ils chuchotent…
C’était ma volonté de créer cette empathie directe avec les personnages grâce au prologue, une empathie qui va être mise à mal plus tard. On va me le reprocher, mais… Aujourd’hui, je rapprocherais plus ma caméra des personnages. J’avais si peur d’être dégoulinant que j’ai essayé de les mettre à distance. J’ai voulu tirer les leçons de Calvaire où là, j’avais vraiment cherché à malmener les spectateurs. Ici, pour créer le malaise, j’attends la scène avec l’enfant où le mari dit «Ce n’est pas mon enfant» et où le Thaïlandais lui répond «Quelle est la différence ?»…À ce moment, plus qu’une perte d’empathie pour les personnages, c’est surtout le fossé qui se creuse entre le mari et sa femme qui dérange : ils ont des réactions opposées mais toutes deux compréhensibles…
C’est un jeu pervers, et peut-être inconscient, de ma part. Même les gens de l’équipe me l’ont reproché… Ils me disaient qu’ils étaient contents d’avoir fait le film, mais ils ne le digéraient pas, ils sont sortis dans un état paradoxal, ça révélait des choses qui les irritent, ou qui les bouleversent. C’est peut-être ça les différents niveaux de lecture du film… Il y a une dimension baroque, romantique qui m’appartient en propre. Mais je n’ai pas d’élément de réponse claire à ces réactions. J’espérais faire un film qui laisse une empreinte chez les gens qui le voient. Il ne fait pas l’unanimité, bien sûr, mais les gens y repensent, le lendemain, deux jours ou une semaine après.Parlons des références du film : Les Révoltés de l’an 2000, Ne vous retournez pas, Apcoalypse now et même Les Tueurs de la lune de miel… Plus que des références, ce sont des citations, vous êtes comme un musicien électronique avec un sampler.
Ça pourrait être ça, mais il y a aussi beaucoup de choses inconscientes. L’autre jour, un journaliste de Première m’a fait faire un blind test avec des extraits de films, et il a passé Soudain l’été dernier et le flashback final. Certains plans étaient exactement les mêmes que les miens, et pourtant, à aucun moment je n’ai pensé à Mankiewicz et à ce film-là. Par contre il y a dans Vinyan trois références conscientes : Les Révoltés de l’an 2000, Ne vous retournez pas et Chromosome 3. Ce sont des films que j’ai vus beaucoup de fois, mais je n’ai jamais eu une volonté de les piller : je prends des choses et je les régurgite autrement. En fait, tout dépend de la manière dont on pille ; moi, je ne peux pas écrire sans avoir ces cadres cinématographiques-là, c’est avec eux que je construis mes scénarios. Je suis parti des Révoltés de l’an 2000, mais je crois qu’à l’arrivée, on en est loin…À l’époque de Calvaire, vous disiez que vous aimiez les films de genre, mais aussi ceux d’André Delvaux… Ce mélange est à nouveau présent ici, et on retrouve des scènes de cérémonie étranges, comme chez Delvaux.
Vinyan est un film conçu comme une expérience hallucinatoire, comme un trip sous acide : on part d’une réalité documentaire et on finit dans un baroque outrancier. C’est vrai que ce parcours est ponctué de cérémonies, mais c’est aussi la pratique en Thaïlande, où l’on croit aux fantômes et aux légendes. Je trouve qu’il y a, dans ces cérémonies, dans les messes blanches ou noires, quelque chose de très cinématographique. La séquence du lancer de lampe a été un moment extraordinaire à tourner : toute l’équipe a, elle aussi, communié autour de quelque chose de très beau.

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