La vida Loco

Fêtard invétéré depuis son plus jeune âge, Javier Colli a apporté sa touche personnelle à la nuit grenobloise en reprenant la gérance du Loco Mosquito. Pas bégueule, il nous a livré quelques clés pour comprendre comment ce lieu s’est imposé comme une étape incontournable de notre night en simili déliquescence. François Cau

Définir les années de jeunesse de Javier Colli comme instables serait un euphémisme au charme musqué. «Je suis né en 1969, à Buenos Aires. En 1970, avec l’arrivée de la dictature, ma famille est partie à Barcelone, puis au pays basque, à San Sebastian. Après le coup d’état espagnol de 1981, ma mère n’était pas rassurée et nous sommes donc partis au Mexique. En 1985, la démocratie était de retour en Argentine, on est donc revenus à Buenos Aires, après un détour par la Patagonie. Au bout de temps de quelque temps, il y a eu cette situation de catastrophe économique, qui faisait notamment que l’Argentine en était à 200% d’inflation mensuelle… On est retournés en Espagne, et là, il y a eu une année géniale, celle des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992. Mais la période qui a suivi me rappelle un peu l’ambiance d’aujourd’hui, cette montée de névrose pessimiste…». Sans s’appesantir sur son statut de rescapé permanent des tourments de l’histoire, Javier s’acquitte de petits boulots à droite à gauche, tout en fréquentant les établissements scolaires français au long de ses pérégrinations. C’est au lycée, au contact d’une jeunesse expatriée dorée, qu’il glane son goût immodéré des festivités nocturnes. «C’était au Mexique, durant les années hippies. Le lycée français était fréquenté par des élèves très riches, des fils d’ambassadeurs ou autres, qui organisaient ces soirées gigantesques avec 300-400 personnes déguisées, des mini orgies romaines…».Voir Grenoble et mûrir
Forcément, ce genre d’habitudes aurait tendance à influer sur le jugement. D’autant qu’à Barcelone, Javier réside dans le quartier de Gracia, pas vraiment connu pour la modération de ses résidents quand il s’agit de donner dans la liesse festive. Il y a quinze ans, il se voit proposer par un ami de venir bosser dans un établissement grenoblois, le Pub du Palais, en face de l’actuel Couche-tard. Il accepte, et débarque donc dans notre chaloupée cité, où les us et coutumes festifs le séduisent. «Ce n’était pas le même rythme qu’à Barcelone, où il fallait souvent attendre une heure du matin pour que les hostilités se déclenchent. Là, les clients arrivaient dès 17-18h, restaient parfois jusqu’à la fermeture et sortaient encore derrière, le tout plusieurs fois par semaines, je me suis dit “c’est magnifique ce pays, mais comment font-il ?“». Javier profite de l’occasion pour entamer des études de sciences économiques, le boulot lui assurant de quoi financer son passage à l’université. Quand il décide de collaborer avec un couple d’amis à lui pour ouvrir un nouveau lieu de vie nocturne, Javier ne se doute pas que son destin professionnel est désormais scellé. Avant que l’enseigne du Loco Mosquito n’y soit accolée, le lieu était un bar nommé La Soucoupe Volante, en hommage à la passion de son ex-taulier pour la SF, comme pouvaient en témoigner les robots de son invention garnissant le lieu. Fini l’utopie futuriste avec commodités dans la cour intérieure en option (facteur qui n’attirait pas vraiment la sympathie des voisins), bienvenue à un projet de bar à vins dont les postulats initiaux seront finalement détournés pour le grand plaisir de tous.Don’t you know I’m Loco ?
Quand son couple d’amis décide de repartir sur Paris, Javier se voit confier la gérance du bar, qu’il finira par racheter. À l’époque, il organise une fois par mois des soirées espagnoles, prétexte à passer des sonorités de son choix, très orientées salsa, prétextes à des retrouvailles pour la communauté sud-américaine grenobloise. L’ambiance a tendance à se refermer sur elle-même jusqu’à l’explosion populaire de la musique salsa. Un engouement que Javier explique en partie par la sortie du film Buena Vista Social Club de Wim Wenders ; à vrai dire, peu importe les raisons, toujours est-il que la machine est lancée. Le Loco Mosquito propose des soirées salsa tous les jeudis pendant un été grenoblois désœuvré (pléonasme local), et le succès est immédiat. Niveau musique, Javier assure la sélection, prend soin de renouveler la playlist le plus possible ; niveau danse, le ton est à la décontraction, sans se soucier de l’exactitude minutieuse du moindre pas – «Il faut juste que les gens dansent, pour moi, la salsa est un divertissement populaire festif, un peu dans l’esprit des guinguettes françaises». La clientèle abonde dans son sens, draine dans son sillage bon nombre d’étudiants en quête d’un point de chute convivial. D’autant que le Loco ne se cantonne pas au seul dénominateur commun musical qui fit la prime renommée de l’établissement, ouvre notamment ses portes aux sbires du label grenoblois Un Dimanche et à leur rock décomplexé, source de mémorables pogos dans un lieu pas vraiment prévu à cet effet. ce qui n’est pas forcément du goût du voisinage. Javier veille au grain, maintient avec acharnement la bonne atmosphère de l’endroit. Et ce en dépit de la morosité actuelle, Javier reste cependant optimiste, et donc fidèle à lui-même. «Grenoble est une ville trop petite pour se replier sur elle-même. Moi qui vient d’Amérique du Sud, et qui a vécu de nombreuses crises, je peux garantir qu’on a toujours besoin de faire la fête».

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