L'humour du risque

Des innombrables carrières de François Corbier, on ne retient que l’intermède télévisuel. Mais ce chansonnier tout terrain n’en garde aucune aigreur, et continue à composer autour de son joyeux pessimisme. François Cau

Tandis que ses valeureux camarades enchaînaient les pitreries dont notre jeune âge ne nous faisait pas encore voir les puissantes influences psychotropes, il y avait, dans le monde merveilleux du Club Dorothée, le mec à part. Celui qui, en dépit de son physique d’hurluberlu, avait l’air le moins à sa place, semblait traîner des pieds pour livrer aux futurs électeurs sarkozystes leur pain quotidien d’enfantillages. Puis, à la fin de ce lucratif bordel imaginé par l’esprit pour le moins retors de Jean-Luc Azoulay, Corbier semble disparaître des ondes, avant de redonner signe de vie quelques années plus tard. Tout d’abord, un camarade du groupe Rien se retrouve côte à côte avec le grand (1, 85 m, quand même) monsieur dans une émission de radio – on se prépare à compatir, mais il nous rassure en évoquant un homme charmant, dont les chansons caustiques devraient en surprendre plus d’un. Puis, trois ans en arrière, en matant le sympathique court-métrage Presque des hommes de Julien Fournet (les pérégrinations hardcore d’un Snorky, d’un Schtroumpf et d’un Bisounours accusés à tort du viol de la Schtroumpfette – visible légalement sur le net), on redécouvre Corbier au générique, en mode troubadour post-Brassens, qui donne de la voix avec un ton sarcastico-provocateur qu’on ne lui soupçonnait pas. Aussi, à l’annonce de son passage de cette semaine sur le campus, la tentation est trop forte, on prend le téléphone pour soumettre le bonhomme à la question.Jeux de mots
Quand on lui demande dans un premier temps comment il est venu à la musique, François Corbier veut clarifier derechef les choses. «Parler de musique à mon propos est usurpé. C’est Bach qui fait de la musique, Dizzy Gillepsie ou Django Reinhardt. Je fais des chansons, je raconte des histoires, j’essaie de renouer avec la tradition des conteurs». Très bien, on va tenter de faire pareil. Donc. Il était une fois un gosse rivé à la radio familiale, qui, dès qu’il en a eu l’occasion, a empoigné sa guitare pour entonner un duo de chansons comiques avec son frangin. Il a continué en solo, bringuebalé dans divers lieux parfois improbables. A 22 ans, il chante ainsi pour une croisière organisée par le Club Med ; dans le public se trouve un certain Jean-Pierre Elkabbach («à l’époque, il était encore journaliste») qui, sous le charme, lui propose un poste à France Inter, que le chansonnier décline – il aura droit cependant à sa première interview nationale. Une poignée d’années plus tard, il est repéré par un employé de chez Barclay qui le fait bosser dans un bureau entre Maxime Le Forestier et Michel Fugain, jusqu’à accoucher de son premier 45 tours, produit par Alain Barrière. En Mai 68, il suit Le Forestier dans un concert de soutien aux ouvriers de la Snecma, et poursuit une tournée dans des ateliers et des usines. «L’ambiance à l’époque était tout à fait gaie, amusante, pimpante. Les gens se battaient pour des motifs différents, pour avoir plus de libertés. D’un seul coup, il y a eu ce phénomène qui peut sembler hallucinant aujourd’hui : les gens se parlaient, s’abordaient quand ils marchaient côte à côte. Et dans le métier, le public était extrêmement attentif, respectueux, la télévision n’avait pas encore foutu sa zone. La télé est un moyen de ne pas du tout éduquer les gens, puisqu’on les habitue à ne plus avoir d’attention, à s’éparpiller devant de la qualité». La fin du troubadour
Après avoir tourné de façon conséquente, notamment au Québec dont il garde un souvenir ému, François Corbier se fait repérer par Jacqueline Joubert, alors responsable des programmes jeunesse de la télévision publique. Ce soir-là, au Caveau de la République, le public compte un grand nombre d’enfants, et la chasseuse de têtes improvisée apprécie grandement le numéro d’équilibriste du chansonnier, qui parvient à contenter autant les parents que leur marmaille. Joubert lui propose donc de participer à Récré A2 aux côtés de Dorothée, qu’il ne connaît pas à l’époque. «J’ai pris ça comme un métier, point barre. Je ne regardais pas la télévision, comme la majeure partie des gens de ma génération – les programmes étaient chiants, pénibles, le gouvernement avait la main mise sur les infos, les films qu’on voyait étaient dans l’air du temps, permettaient aux dirigeants d’assoir leur emprise sur l’esprit des gens, tout était lourdingue». Il est rassurant de voir à quel point les choses ont changé… Puis vient le passage à TF1, la chaîne du temps de cerveau disponible. En bout de course, Corbier est sur le point de craquer. «Je commençais à m’ennuyer. Et là, c’est terrible. Quand on fait un métier artistique dans lequel on s’emmerde, on finit par ennuyer le public aussi. Et comme on emmerde le public, on se pose des questions qui mènent très vite à la dépression. Je suis parti avant d’être totalement dépressif mais j’étais quand même bien parti pour…». Cette longue parenthèse refermée, Corbier récupère son prénom et retourne à ses premières amours. Et cultive passionnément sa grande spécialité : parler des choses graves avec légèreté. «Si je me laissais aller à mon tempérament pessimiste, je ne ferais que des chansons lugubres. J’aime rire de la merde dans laquelle on est, c’est comme ça que je vois les choses, si je ne me marre pas, je me flingue». N’ayez crainte : les chansons que François Corbier interprètera ce jeudi seront chargées à blanc. François Corbier + Les Blaireaux + Les 2 Moizelles de la Chorale Municipale de St Benet de la Chipote
Jeudi 25 février à 20h, à EVE (campus)

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