Terrain de jeu

À l’occasion de la sortie du film de Banksy, on a souhaité faire le point sur la scène street-art grenobloise, de ses débuts à nos jours. Bilan des courses… Damien Grimbert

Street-art : art de rue en bon français. À l’origine, une volonté simple : se réapproprier son environnement quotidien plutôt que le subir, s’exprimer graphiquement dans l’espace public comme les publicitaires, mais sans leurs millions d’euros, donc clandestinement, dans l’anonymat et avec des moyens de fortune. Les artistes de rue exploitent ce que le théoricien Paul Ardenne qualifie d’«anti-perspective». «Par exemple, l’arrière d’un panneau publicitaire, un poteau, un terrain vague… tous les endroits que les gens ne sont a priori pas “incités“ à regarder» résume TVZ, du disparu collectif grenoblois Artizans. «Au sens le plus extensif, ça peut être vu comme le versant urbain du land-art, et inclure tous les artistes qui s’expriment dans la rue, artistes “vandales“ mais aussi contemporains ou commandités, militants, affichistes…». Pour autant, les faits sont là : 99% des street-artists ont évolué, ou évoluent encore dans l’illégalité la plus complète. État des lieux.Première vague
Apparue en 1970 à New York, la mouvance graffiti débarque nettement plus tard en France… et encore un peu plus tard à Grenoble. Fin des années 80, les premiers crews locaux font leur apparition. «À la base, c’était essentiellement des gens de Villeneuve, et un groupe de skaters, sous les passages souterrains des grands boulevards» se rappelle le graffeur Nessé. «La Villeneuve était un super terrain de jeu pour le graff il y avait des endroits tellement morts, des piliers tellement moches et sales qu’au bout d’un moment, les gens regardaient ça d’un bon œil». Parmi les premiers acteurs historiques de cette scène, le crew CFC (Sene2, Ariok, Peck…) va se distinguer par son goût des couleurs, des lettrages, des personnages cocasses et arrière-plans travaillés, affichant une recherche esthétique encore peu commune à l’époque. Défrichant ce qui deviendra les principaux spots de prédilection de la scène graff (Villeneuve, quais de l’Isère, friche Bouchayer-Viallet…), les CFC vont rapidement faire des émules au milieu des années 90. Cette deuxième vague voit également l’apparition des premières structures dédiées à la discipline, comme le CH2 qui organise de nombreux ateliers de sensibilisation, ou plus tard l’association Force Urbaine de Nesta et Korem, plus orientée événementiels (rencontres, graffiti-jams, organisation du mois du graff en 2002…). Et aujourd’hui encore, de nouvelles associations prennent le relais, comme Workspray créée il y a un peu plus d’un an par Nesta et Bazar, tandis qu’en parallèle, d’autres artistes comme Fame ou Arock perpétuent la tendance “sauvage“ du mouvement…Transition
Dès la fin des années 90 cependant, l’art de rue va amorcer une nouvelle évolution : diversification des médiums (stickers, collages, affiches, pochoirs…), accessibilité du message (plus seulement destiné aux initiés), investissement de nouveaux espaces… C’est la naissance du street-art, une forme de «graffiti 2.0» comme le décrit TVZ. Explication de Nikodem, artiste multifacettes : «Après plusieurs années de graff, certains vont s’intéresser à la calligraphie, au graphisme, au dessin, aux musées, aux expositions… Et en parallèle, tu vas avoir des gens venus des Beaux-arts, des écoles de dessin qui vont s’approprier la rue et les outils utilisés par les graffeurs… Du coup, naît cette conscience que tu peux t’adresser à tout le monde, faire passer un message, que ce soit politique, ou complètement débile». «Ce qui est intéressant, c’est aussi de pouvoir mettre ton œuvre en situation par rapport au lieu où tu la crées, de la relier à son environnement en quelque sorte», confirme le graffeur Vinz. Nouvelle école
Parmi les premiers à exploiter ces possibilités, les grenoblois du 33, et leur célèbre emblème, un masque grimaçant avec des piques collé sauvagement sur le visage des icônes publicitaires. «Le truc, c’était d’enrôler les personnages des pubs dans notre “armée“», résume un des fondateurs du crew. «On se prenait pour des pirates, ou voulait pirater la ville. Puis progressivement, on s’est rapprochés de l’art contemporain avec des “actions“ : crises d’épilepsie dans des magasins, cascades dans des supermarchés… Avec toujours ce côté terroriste, irruption masquée dans un endroit public…». Parmi les faits d’armes du 33, notamment, la pose d’une énorme bâche en forme de cible en haut du World Trade Center de Grenoble… le 11 septembre 2002. Également très actif au cours des années 2000, le collectif Artizans, qui se distingue par son travail de la matière, son usage extensif du recyclage, son utilisation de jeux de mots et de phrases “gimmicks“, et son refus farouche d’une identité visuelle trop clairement définie. Issus de la scène graff, Hëx et Hept, se servent quant à eux du street-art pour promouvoir leur ligne de vêtements Hixsept, en collant de gigantesques pigeons (emblèmes de la marque) dans les rues de la ville, tandis que le graffeur Nesta s’associe à la peintre et illustratrice Marianne au sein du collectif Rock Your World pour des travaux aux frontières des deux disciplines. Depuis quelques années enfin, l’artiste The Sheepest essaime ses moutons stylisés un peu partout sur les murs de Grenoble et ailleurs… Un dynamisme éphémère, certes, mais bel et bien présent, qui semble désormais presque “établi“ dans les rues de Grenoble. À quand la prochaine étape ?

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