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Entretien / Pour sa nouvelle création, Mourad Merzouki nous embringue dans ses souvenirs de jeunesse et fait évoluer sa troupe sur le fil de tableaux touchants, où la virtuosité sublime la légèreté du propos. L’occasion d’évoquer avec le chorégraphe la genèse du projet, son exécution et l’actualité brûlante de la compagnie Käfig. Propos recueillis par François Cau

D’où est venue l’idée de cette nouvelle pièce ? D’une envie de donner une image positive de la banlieue ?Mourad Merzouki : Il faut dire que c’est ma 10e création. J’ai commencé par le cirque avant de pratiquer la danse, et pour cette pièce, près de dix-douze ans après, j’avais envie d’un retour aux sources, de faire un spectacle où se mêlent danse et cirque. Mais aussi du théâtre, parce qu’entre-temps j’ai travaillé avec des metteurs en scène. Ce sont ces rencontres et ce parcours qui m’ont donnés envie de monter un projet où la distribution serait mélangée entre les trois disciplines. Et après, c’est vrai que j’aime représenter cette image qu’on ne montre malheureusement pas assez dans les médias, qu’il y a aussi dans les banlieues ces moments intenses de vie, de joie… Ce n’est pas quelque chose que j’invente, une scénographie imaginaire, c’est une réalité que j’aime faire partager. À la sortie, j’ai malencontreusement surpris la conversation d’une spectatrice qui vous reprochait d’être passé à côté du sujet…L’objectif n’était pas de raconter la banlieue, c’était de partir d’un espace qui est celui du terrain vague, un espace qu’on trouve assez souvent en périphérie, rarement dans un centre-ville... L’objectif était de m’y retrouver et de revenir à ma propre histoire, à mes souvenirs. Ce que je vivais étant plus jeune, ces histoires de bandes, de clans comme dans les comédies musicales, les tactiques de séduction, les moments de jeux avec les accessoires qui nous tombent sous la main, ce poteau auquel on grimpe pour voir des kilomètres à la ronde… J’ai voulu retrouver mes sensations d’alors. Peut-être que certains attendaient autre chose, mais je crois que ça fait partie de la loi du spectacle…Comment avez-vous défini l’enchaînement des tableaux ?Je fais d’abord une espèce de story-board, où j’écris le squelette du spectacle et à partir de là, je m’intéresse aux personnages, je vois comment les artistes réagissent aux propositions, avec leurs parcours, leurs histoires et leurs points de vue différents. Il y a de longs moments de discussion, d’échange pour être le plus juste possible, ne pas les emmener dans des registres où ils ne seraient pas forcément à l’aise. Le danger avec cette pièce, c’était de faire des focus, que les disciplines soient cloisonnées. J’ai dû à la fois brouiller les pistes pour qu’on ne sache pas qui est qui, et par moment faire ressortir leurs qualités, par rapport à ce qui pouvait être proposé dans le projet, laisser la place aux uns et aux autres pour qu’ils montrent ce qu’ils ont dans le bide.Fruits étranges de ce brassage, les personnages menaçants sont interprétés par des breakers…C’est vrai que sur cette scène des promoteurs, j’avais envie d’une danse très précise. J’aime bien ce côté robotique, un peu dur, mais en même temps très en syncope, qu’on retrouve dans la musique à ce moment-là. La bande-son est par ailleurs très éclectique…Dès les premières discussions que j’ai eu avec les musiciens, je demandais des univers très précis. J’adore ces musiques tziganes, arabo-andalouses, et je trouvais qu’elles collaient bien à l’ambiance du terrain vague. J’ai été bercé par ces univers musicaux, dès mes origines jusqu’au cirque, où on bossait beaucoup dessus. Il y avait d’une part cette envie d’un style de musique à la Kusturica, et aussi le vœu de ne pas me cantonner au breakbeat, une musique que j’aime également, mais qui aurait sonné trop évidente, trop actuelle. Ce spectacle est celui qui semble être le plus synchrone avec la démarche globale de la compagnie Käfig…Vous n’êtes pas le premier à me le dire, c’est vrai qu’on retrouve davantage qui je suis et ce que je vis dans ce spectacle-là que dans les autres. Mais je crois que c’est un peu inconscient. Si on reprend de la première création à celle-ci, du temps où je faisais ces allers-retours entre la rue et la scène... Les premières fois où j’ai poussé les portes d’un théâtre, je me retrouvais dans des situations où je découvre une lumière, où je découvre un plateau, où je découvre la possibilité de travailler une scénographie. On rentre dans quelque chose de très plastique, de très lié à l’image, et j’ai accordé beaucoup d’importance à ça dans mes pièces précédentes. Du coup je suis peut-être passé à côté de choses plus personnelles, mais je l’assume complètement aujourd’hui, parce que j’ai aussi beaucoup appris en travaillant de cette manière-là. Mais dans Terrain Vague il y a effectivement cette envie de m’amuser des choses que j’ai vécu. Avec votre emploi du temps surchargé, prendrez-vous encore le temps de poursuivre votre travail en Algérie ?Bien sûr, le projet qu’on a monté sur place et l’accueil du spectacle en Algérie m’ont énormément touchés. C’est mon pays d’origine, je n’y étais pas retourné depuis très longtemps. Le fait d’y revenir par mon métier, de faire vivre au public algérien par nos spectacles des choses qu’on vit ici, c’était des choses qui me semblaient vraiment importantes. Et donc on poursuit nos échanges, on est très contents de faire tourner Terrain Vague à Alger et au Maroc. Quelles seront vos occupations à l’issue de la tournée ?Différentes propositions, tout d’abord la Biennale de la Danse, je vais faire le défilé pour la Ville de Bron. Et je devrais chorégraphier un Petrouchka pour le Ballet de Genève, un gros défi… Trente danseurs, un orchestre qui joue live…Un défi que Sidi Larbi Cherkaoui a brillamment relevé.Oui, en plus mes prédécesseurs ont fait des choses bien, ça en sera d’autant moins facile ! Mais c’est excitant, j’aime assez bien ce genre de défi où on me propose des choses inattendues, que je n’ai pas l’habitude de faire.

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