L'âme du crocodile

Susheela Raman est l’une des plus belles réussites d’une fusion entre un héritage musical traditionnel et son enrobage pop. Une voix sublime, un talent indéniable, mais la recette ne fonctionne pas forcément à tous les coups. Arnault Breysse

Qu’est-ce que la world musique ? Un genre un peu fourre-tout, un rayon dans votre hyper, une étiquette pouvant désigner pêle-mêle la musique tibétaine, les envolées de Youssou N’Dour ou les chants corses (ha non en fait ça c’est régionaliste). Susheela Raman pourrait être le visage souriant d’une mondialisation musicale rassurante. Car lorsque l’on reprend le fil de l’histoire de la belle, ses multiples périples sont révélateurs de l’artiste qu’elle est aujourd’hui devenue. Née à Londres en 73 de parents tamouls, sa famille s’exile vers l’Australie alors qu’elle est âgée de 4 ans. Elle y passera toute son adolescence. Cette enfance en transit baigne dans la musique carnatique, un répertoire classique traditionnel de l’Inde du Sud répondant à des schémas particulièrement exigeants. Comme souvent, l’adolescence met à mal le carcan culturel jusqu’alors étanche à toute intrusion. Susheela découvre d’un bloc tout un pan de la musique occidentale. Des Beatles à Hendrix, de Sarah Vaughan à Prince. La fissure est nette, elle intègre un groupe de funk-soul pour écumer les scènes des pubs de Sydney. Mais à l’issue de péripéties personnelles, elle perd l’usage de sa voix. Ultime recours, elle s’envole pour l’Inde pour suivre l’enseignement de la chanteuse hindoustani Shruti Sadolikar. Dans les brouillards de LondresSon brin de voix retrouvé, elle débarque à Londres et se rapproche fort logiquement du label Real World de Peter Gabriel, l’ex-leader de Genesis demeurant un acteur incontournable pour la promotion et la diffusion des artistes "world". Même si ses détracteurs lui reprochent une fâcheuse tendance à l’uniformisation et à l’aspect tribu de l’aventure. Susheela intègre Joi, combo anglo-indien mixant musique indienne et électro. Ce premier pas décisif et la rencontre avec Sam Mills la pousseront à aller plus loin dans la fusion des genres au sein de son propre répertoire. Car Sam Mills est un autre partisan de la discipline. Parti sur des bases pop indé, ce guitariste anglais a rapidement intégré des sonorités ethniques dans le schéma rock ,a œuvré au sein du groupe Tama et permis la découverte de plusieurs artistes orientaux en Europe. Aujourd’hui mariés, la rencontre semblait logique et le duo accouche de Salt Rain en 2001. L’effort a tout d’une réussite. L’album recèle quelques pépites comme Maya, ballade lancinante imparable aux tablas délicats, l’adaptation du traditionnel Ganapi dédié au Dieu Ganesh ou Trust in me, relecture réussie de la chanson de Kaa, le serpent fourbe du Livre de la jungle. Le mariage idyllique de la pop et des sonorités indiennes. Une formule philosophale appréciée de visu lors de de sa venue au Cabaret Frappé. D’autant que la belle a su s’entourer par de musiciens impeccables venus des 4 coins du monde. Alors qu’elle fête tout juste 27 ans, l’Europe se pâme pour Susheela. Plus de 200 000 disques écoulés en France et l’obtention d’un BBC Music Awards . World PopL’attente n’en fut donc que plus importante lors de la parution de Love Trap son deuxième disque. Un essai séduisant même si l’on perdit en route la fraîcheur décelée sur Salt Rain. Le dernier venu, Music for crocodiles laisse à nouveau comme un arrière-goût de déjà entendu. Car même si l’ensemble séduit à nouveau, le scepticisme flotte après interruption de la bande son. On ne saurait lui tenir rigueur du casting convoqué pour l’occasion. Du duo Bumcello au tablaïste Aref Durvesh, de Hilaire Penda à la présence de Check Itiane. Elle s’essaye même de façon charmante au français sur un texte de Barmak Akram. Mais entre la revisite d’un traditionnel Idi Samyam au réussi Chordhiya à l’intro spatiale, de ces intermèdes instrumentaux aux ballades pop drapées de tablas et de nappes de cordes, on ne sait trop quoi retenir de ce disque. Susheela Raman officie dans une catégorie cousue pour elle, l’ethno-pop. Mais l’art est subtil et peut vite basculer dans un exercice éthéré. Pourtant la découvrir sur scène n’en demeure pas moins fortement conseillé, histoire de mettre à mal les objections évoquées dans ces lignes. Et d’attendre la prochaine livraison.Susheela Ramanle 6 décembre à 20h30, au Centre Culturel de Seyssinet-ParisetAlbum : “Music for Crocodiles” (Virgin)

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