Retour de flammes

Avec “Asphalte Hurlante”, premier opus magistral, le duo de Noisy-Le-Sec (93) La Caution s’imposait comme l’une des références les plus novatrices du hip-hop français. Après plus de 4 ans d’attente, les deux frères Hi-Tekk et Nikkfurie sont de retour avec un impressionnant double album aussi surprenant qu’inspiré, le diptyque “Peines de Maures” / “Arc en Ciel pour Daltoniens”. Propos recueillis par Damien Grimbert

Ce deuxième album est, par certains aspects, plus introspectif que le précédent…Nikkfurie : On a toujours fait les choses dans l’ordre. Dans notre manière de voir le hip-hop, le premier album, c’est là où tu démontres toutes tes aptitudes, et où tu dévoiles ton univers. Là, avec ce 2e album, on est plus dans le vif du sujet, dans quelque chose d’effectivement plus introspectif, que ça soit sur notre enfance, nos goûts musicaux, notre position vis-à-vis de notre statut de français d’origine maghrébine, de musulmans vivant en France… Et c’est peut-être aussi par rapport au délai entre les deux albums, quatre ans se sont écoulés, on a eu cette envie d’aller vers quelque chose de différent. Mais ce n’est pas non plus un album complètement introspectif, il y a quelques trucs par-ci par-là, comme par exemple Thé à la menthe, où on s’exprime vraiment de manière ironique autour d’éléments de notre enfance, et de la manière dont on a pu les vivre. Ils font partie des morceaux forts et c’est tant mieux, parce qu’on a vraiment voulu s’exprimer sur ces morceaux-là, mais on trouve aussi mortel qu’ils soient contrebalancés par un morceau comme Connasse, où le truc est vraiment pur égotrip, pure ambiance… Par exemple quand Hi-Tekk parle d’«une génération d’hommes élevés par des spots de pub», c’est plus dans la continuité de certains délires à la Philip K. Dick qui nous ont caractérisés sur le premier album. Dans l’ensemble, on a vraiment essayé d’être complet sur les différentes manières dont on peut aborder le hip-hop. C’était l’envie sur ce nouvel album.Vous semblez aussi plus en colère…On a surtout “élargi” le cercle de notre colère. Nous, on n’a rien demandé, rien fait, on n’a aucun problème, on n’a pas fait d’attentat, mais notre image s’est dégradée et c’est quelque chose qui te blesse même si ce n’est pas directement. Le 2e tour de Le Pen, c’est pas pour rien, il y a quand même énormément de gens qui sont sur des idées hyper arrêtées. Nous, on est super ouvert avec tout le monde, raison de plus d’être en colère quand les gens sont fermés sur nous. On est donc passé de la dynamique “on vit en banlieue, on a tels problèmes”, qui se retrouve encore dans des morceaux comme Bancs de poisons, à une trame plus large comme sur Peines de maures, avec cet enfant irakien qui meurt d’une grippe à cause de l’embargo anglais et américain.Votre écriture reste cependant toujours aussi complexe, sophistiquée, ça ne rentre pas en contradiction avec ce propos plus “politique” ?Non, je ne pense pas, c’est un peu comme ces peintres mexicains qui te font des tableaux super compliqués avec 150 personnages dans des perspectives hyper bizarres : tu ne comprends pas tout, mais chaque chose, chaque petit bonhomme, de celui qui vole la bourse d’un riche dans le fond du tableau, au curé qui se fait décapiter au premier plan, joue un rôle dans l’ensemble. Et nous on a toujours fonctionné comme ça, on n’est pas là pour mâcher le travail aux gens, il faut en même temps qu’il y ait la beauté de l’écriture, c’est primordial. Hi-Tekk par exemple, sur Peines de Maures, image le truc de façon quasi-cinématographique et le rend plus artistique, donc plus intemporel. Sur ce morceau, le son est très émotionnel, on pouvait pas se permettre d’arriver et de dire juste “ouais, tu te fous de ma gueule, tu me regardes de travers…”. En même temps, il y a des choses assez directes aussi, «appelle-moi indigène, intégriste, voyou, trou de balle, seulement capable de courir derrière une balle de football», c’est très direct, mais c’est pas systématique de chacun de nos morceaux. L’artistique au service d’une cause ne doit pas être négligé au profit de la cause, nous on le voit à fond comme ça. Il faut imager le processus, le rendre plus beau, plus artistique, pour pouvoir amener quelque chose d’original.Musicalement, vous abordez aussi vos influences pop de façon plus frontale.On a des influences directes et indirectes. Nos influences directes c’est très clairement le hip-hop, c’est ce qui nous a mis une claque, de Run DMC au Wu-Tang en passant par Redman, ce qui fait qu’aujourd’hui on fait de la musique. Mais quand on était petit, on a grandi avec le Top 50 dans les oreilles, et on ne pouvait pas être insensibles à des trucs comme Duran Duran, même si j’ai jamais acheté leurs albums, c’est des trucs qu’on voyait en clip, qu’on écoutait à la radio… Donc quelque part, t’assimiles indirectement ces vibes, new wave ou funk, sans pour autant passer ton temps à en écouter. Et donc là, on s’est dit qu’on allait utiliser toutes ces vibes qui nous touchent, de la pop au rock et à l’éléctro, mais en les rendant hip-hop, en les rendant “Caution”. On n’est pas du tout dans le délire de faire des vrais morceaux pop, on n’est pas là pour ça, mais on peut s’en inspirer justement pour renouveler notre registre. C’est un truc qui était en nous depuis longtemps, comme les vibes plus hardcore sur certains morceaux, ou plus orientales sur Thé à la menthe ou Pilotes automatiques… On est des passionnés de musique avec pour genre principal le hip-hop, clairement, mais on est aussi passionnés de musique tout court. C’est vrai que le côté synthétique des années 80, c’est quelque chose qui est dans notre tête de manière indirecte, mais aujourd’hui, à 28 et 30 ans, c’est des choses qui ressortent hyper naturellement parce qu’il y avait des notes, des émotions, des choses positives qui se dégageaient de ces morceaux.La CautionNouvel album : “Peines de Maures” / “Arc-en-Ciel pour Daltoniens” (Kerozen)

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