Chanteuse d'or, coeur noir

Entretien / Alliant fraîcheur et culot, force et sérénité, la malienne Rokia Traoré, à tout juste vingt-sept ans, trace sa belle voie, loin de tout cliché et animée d’une intégrité humaine et artistique exemplaire. Hugo Gaspard

«Tous les jours, je prends des leçons de vie. Il faudrait une masse de sagesse incommensurable pour aborder les choses sans aucun a priori. Aujourd’hui, je me rends compte que j’avais des idées préconçues sur certaines choses, que mes priorités changent, et que mes préoccupations aussi. L’immigration clandestine et la situation des sans-papiers sont alarmantes. En tentant de rejoindre l’Europe dans des conditions inhumaines, des gens meurent comme des cafards dans les soutes des bateaux. De même, pourquoi les laboratoires ne font rien pour baisser leurs prix alors que des médicaments existent et qu’ils suffiraient souvent pour stopper de terribles fléaux. Tout cela me bouleverse, et pour tout dire, me touche dans ma couleur. Tout ceci n’est ni plus ni moins que de l’esclavage moderne. Pourquoi faut-il que le peuple africain souffre autant ? Cette injustice me choque profondément. Mais, je ne fais pas partie de ceux qui rejettent la faute sur les gouvernements occidentaux. Tout n’est pas si simple». La voix est douce et le ton juste. Rokia Traoré évite les amalgames et les raccourcis, comme elle évite tous les clichés de la world music. «Musiques du monde, c’est quand même plus sexy que ce terme tellement connoté qui nous renvoie sans cesse à la notion de fusion, donc de négation alors qu’un autre chemin est possible, tout en conservant les rythmes et l’énergie de la musique traditionnelle. Quand j’ai demandé à des musiciens professionnels pourquoi ils se contentaient de réinterpréter sans cesse les mêmes morceaux, alors qu’on pouvait moderniser sans trahir en écrivant de nouvelles choses, on me demandait quel était mon problème. Moi qui ne suis ni griotte, ni Wassoulou, qui n’a jamais fait parti des orchestres nationaux ou reçu aucune formation au conservatoire, j’ai juste envie de faire la musique qui me trotte dans la tête». Mali Mélo Originaire de Bamako au Mali et issue de l’ethnie Bamanan, elle quitte son pays à 4 ans, posant ses valises au gré des étapes de ses parents diplomates. «On ne se sent jamais différente. Ce sont les autres qui vous font ressentir cela. Adolescente, la musique m’a aidé à m’accepter comme je suis. Et à comprendre que j’étais privilégiée : j’ai beaucoup voyagé, j’ai reçu une bonne éducation. Tous n’ont pas cette chance». Rokia grandit à l'écoute des musiques de sa terre natale. Mais sur sa guitare, pour déstresser, elle pose des lyrics d’Ella ou de Billie… Elle se lance vraiment comme chanteuse et prend conscience de sa voix à l’adolescence, en démarrant la radio. On est en 1993 et dans la foulée, elle s'engage même comme rappeuse dans une formation hip hop de lycéens (voir ci-dessous), histoire de paufiner sa scansion. «La radio, j’aimais vraiment ça. J’ai pris de l’assurance, d’autant qu’on me disait que ma voix passait très bien à l’antenne». Après une première série de concerts au Mali entre 1995 et 1997, elle livre un étonnant premier album intitulé. «Le premier album, c’est comme la première pierre d’un édifice, la fondation. Au départ, on n’a aucune prétention, juste l’envie de faire ce qui nous tient à cœur. Et puis cette première pierre, elle permet de prendre confiance en soi. Au début, je me suis retrouvé face à des musiciens traditionnels très expérimentés qui n’avaient pas forcément l’habitude d’aller dans le sens où je voulais aller, ni même de travailler avec une femme qui soit plus qu’une interprète. Je ne suis pas prétentieuse, mais culottée, oui, je l’ai été !». Sur ce premier essai intitulé Mouneïssa, on retrouve des atmosphères paisibles, empreintes d'une quiétude presque surréelle. Inspirée et spontanée, sa musique conjugue chant intemporel et sonorités tendres. Le sacreElle passe admirablement le cap du deuxième album, continuant à travailler d’arrache-pied, prenant pour la première fois des cours de chant et perfectionnant encore ses arrangements. Aujourd’hui, sa consécration s’affiche moins avec sa nomination aux Victoires de la Musique qu’avec ce disque d’or, le sublime Bowmboï et cette tournée marathon triomphale qui l’a emmenée aux quatre coins de la planète. «Je ne vais pas faire la même chose trop longtemps. Je suis la première à m’ennuyer. Je sens toujours l’envie d’aller ailleurs, plus loin, comme quelque chose qui vient de quelque part en moi et qu’il faut que j’exprime. La langue Bamanan n’est pas une langue écrite, mais orale. Même si je suis complètement bilingue, il y a des choses que je n’arrive pas à traduire, mais que je transcris afin de garder la force des images. Cette dualité est d’une richesse infinie. Et me donne par exemple l’envie d’écrire en français. Comme dans un jeu de cache-cache entre moi et moi. C’est absolument excitant, et je suis pressée d’y arriver». On l’attend de pied ferme...Rokia Traoréle 31 mars à 20h30 à l’Auditorium de la MC2

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