Mardi 16 mai 2023 D’un classicisme à peine bousculé, Jeanne du Barry suit les grandeurs et misères d’une courtisane ayant réchauffé le crépuscule d’un monarque. Maïwenn s’offre Johnny Depp, Versailles et le rôle-titre dans cette superproduction à la française taillée...
Tim Burton met un frein à la crise créative qu'il traversait depuis trois films avec cette comédie où il cherche à renouer avec la fantaisie noire de ses débuts, sans y parvenir totalement.Christophe Chabert
Dark shadows permet à Tim Burton de faire le point sur l'évolution de son cinéma ces dernières années. Il est frappant, à la vision du film, de voir qu'y cohabitent parfois au sein d'une même séquence, souvent d'un champ à son contrechamp, le cinéaste enclin au bricolage et à l'artisanat mais aussi son pendant récent, le réalisateur converti au numérique se contentant de griffer ses plans en illustrateur prodige. Plus encore, cette dualité se retrouve dans les deux thèmes abordés par le scénario : la figure du freak confronté au monde de la norme, et sa déclinaison contestable qui en fait le défenseur d'une petite entreprise familiale qui irait vendre au monde entier sa bizarrerie. On se souvient de l'épilogue craignos d'Alice au pays des merveilles, où Alice reprenait le flambeau paternel pour aller envahir le marché chinois...
C'est à peu près là que commence Dark shadows : Barnabas Collins (Johnny Depp, qui cabotine plus intelligemment que d'habitude) est, au XVIIIe siècle, le jeune héritier d'une fortune construite par ses parents, prolos de Liverpool devenus richissimes entrepreneurs dans un port de pêche du Maine, dont ils ont littéralement créé l'économie locale. Séduisant toutes les domestiques de son château, Barnabas commet un impair en fricotant avec une sorcière qui, déçue de ne pas être aimée en retour, lui jette un sort non sans avoir au préalable assassiné ses parents et poussé sa dulcinée au suicide. Transformé en vampire, enterré vivant, Collins sera réveillé deux cents ans plus tard, en 1972, prêt à reprendre les affaires là où il les a laissées.
Fondamentaux burtoniens
Cette introduction, racontée en voix-off par le héros, est poussive : Burton y multiplie les effets de signature visuels, lorgnant vers les peintures romantiques et torturées de Turner quand il s'agit de décrire en images les sentiments exaltés des personnages. Aucune chaleur, pourtant, ne se dégage de cette suite de plans outrageusement retouchés par la technologie numérique, comme si le cinéaste se contentait d'animer un story board. Pas d'incarnation non plus tant les comédiens n'ont que de brèves vignettes à défendre, simples pantins dans une chorégraphie réglée avec une glaciale minutie.
Dès que Dark shadows s'engage dans l'essentiel de son récit, les choses prennent pourtant corps. Notamment parce que Burton choisit d'abord de s'intéresser à un personnage énigmatique, Victoria, dont il nous suggère qu'elle porte un lourd passé, sans toutefois nous le révéler. Une fine mélancolie imprègne son arrivée au château, et sa découverte de ce qu'il reste de la famille Collins permet à Burton de retrouver un territoire qu'il affectionne : la peinture amusée d'une famille de cinglés vivant leurs névroses au grand jour sans pour autant renoncer aux règles élémentaires de la vie bourgeoise. Cela faisait un bail que l'on n'avait pas vu le cinéaste si libre dans le ton comme dans la forme : le premier repas rappelle l'arrivée des nouveaux occupants dans la maison de Beetlejuice, et l'ado révoltée jouée par Chloë Grace Moretz est la digne descendante de celle campée par Winona Ryder.
Cette galerie de portraits est la part la plus réussie de Dark shadows, et pas seulement parce que Burton semble soudain retrouver un peu de la subversion de ses œuvres de jeunesse. On y trouve aussi un goût de la fantaisie live qui figure une résistance au lissage numérique : le maquillage grossier de Barnabas, le plaisir des portes secrètes qui s'ouvrent par des mécanismes dissimulés, ou même la première apparition du petit David, simplement recouvert d'un drap pour jouer au fantôme. Quant à Helena Bonham Carter, compagne du cinéaste devenue sa muse presque masochiste, elle endosse le costume d'une psy alcoolique, aigrie et vieillissante, sans fard et sans pudeur comme si, après avoir subi toutes les métamorphoses — de la chimpanzé humanisée à la Reine cruelle, elle s'adonnait à ce qui fait l'essence de la comédie : une spectaculaire mise à nu teintée d'autodérision.
Un conte à l'intérieur d'un conte
Tout n'est pas de ce niveau, hélas ! dans Dark shadows. À commencer par le comique éculé qui consiste à confronter un personnage venu du passé aux métamorphoses de l'époque. C'est le côté Les Visiteurs du film, amusant quand il se limite à des clins-d'œil, laborieux lorsqu'il s'agit de construire une séquence entière sur le choc entre deux registres de langage, entre deux conceptions de l'amour, de la femme, des sentiments. Burton laisse toutefois cette roublardise dans les limites qu'elle mérite, et Dark shadows sait à point nommé remettre du premier degré quand la potacherie menace de l'emporter.
Il est troublant d'ailleurs de voir à quel point le cinéaste utilise toujours la même figure de style lorsqu'il s'agit de faire surgir l'émotion : une exploration d'un futur rêvé ou d'un passé indélébile comme un conte à l'intérieur du conte, permettant de libérer toute la maestria visuelle et narrative dont il est capable. La scène de confession de Victoria en est un parfait exemple, d'autant plus que le film, à cet instant, ne recule pas devant la représentation des contradictions d'une époque, les années 70, où les méthodes psychiatriques radicales voisinaient avec le flower power. Burton s'y offre un très plaisant glissement entre les souffrances du personnage et une chanson d'Alice Cooper qui en forme le contrepoint métaphorique.
Dans les temps d'arrêt du récit plus que dans son déroulement parfois mécanique — la renaissance du business Collins, la rivalité entre Barnabas et Angélique, formidable Eva Green au passage — dans son envie d'anarchie plutôt que dans sa forme souvent trop sage, Dark shadows laisse penser que Burton a peut-être d'autres desseins que l'exploitation commerciale de son petit barnum cinématographique. Ça tombe bien, car on commençait à en douter.
à lire aussi
vous serez sans doute intéressé par...
Lundi 15 mai 2023 Actrice, scénariste et réalisatrice de Jeanne du Barry, Maïwenn fait l’ouverture du Festival de Cannes mardi 16 mai. Un événement aux allures de conclusion apothéotique après sept ans de labeur et l’occasion d’évoquer son approche de la réalisation...
Mercredi 19 octobre 2022 Avant l’apothéose Edward aux mains d’argent introduite par Tim Burton en personne à la Halle Tony-Garnier, en guide de conclusion de cette 14e édition, le (...)
Lundi 5 septembre 2022 Pour sa 14e édition, le Festival Lumière honorera Tim Burton et son œuvre à l’esthétique reconnaissable entre mille, peuplée de créatures “cauchemarrantes“ mais aussi empreinte d’une insondable mélancolie. Un nom fédérateur qui ne doit pas occulter...
Mardi 11 juin 2019 de Neil Jordan (É-U-Irl, int.-12ans, 1h38) avec Isabelle Huppert, Chloë Grace Moretz, Maika Monroe…
Mercredi 18 juillet 2018 de Desiree Akhavan (É-U, 1h31) avec Chloë Grace Moretz, Sasha Lane, John Gallagher Jr.…
Mardi 9 janvier 2018 Ces dernières années, on craignait avoir perdu Tim Burton. Ou qu’il se soit égaré lui-même dans les méandres de son propre imaginaire, recyclant ad nauseam ses (...)
Mardi 12 décembre 2017 Les plus fameuses bacchantes de la littérature policière sont de retour sur Kenneth Branagh, nouvel avatar d’Hercule Poirot dans une version dynamisée du classique d’Agatha Christie. S’il n’efface pas celui de Lumet, ce "whodunit all-star game" est...
Mardi 12 décembre 2017 Kenneth Branagh était sans doute le mieux placé pour donner, des deux côtés de la caméra, une nouvelle existence cinématographique au classique d’Agatha Christie. Rencontre avec un cinéaste et comédien à l’humour et l’élégance toutes britanniques…
Mardi 11 octobre 2016 Grâce à un line-up complètement inédit dans lequel une clarinette remplace la guitare, Bärlin voyage aux frontières du rock. Le résultat ? La bande originale d'un conte de Perrault adapté au cinéma par Tim Burton.
Mardi 4 octobre 2016 Semblable à une histoire de X-men — où le Pr. Xavier serait chevelue et campée par Eva Green — ce conte fantastique permet à Tim Burton d’animer des mutants, des squelettes, de manipuler à sa guise son vieil ennemi le temps et (surtout) de signer...
Mardi 20 septembre 2016 De tous les super-héros capés, Batman est celui auquel chacun(e) s’identifie le plus aisément, puisque sa force réside dans ses faiblesses. Ni extraterrestre, (...)
Mardi 30 août 2016 Un Harry Potter, un Star Wars, un Marvel, un Loach Palme d’Or… Non non, nous ne sommes pas victimes d’un sortilège nous faisant revivre en boucle la dernière décennie. Regardez d’un peu plus près : c’est dans les détails que se nichent les...
Mardi 15 juillet 2014 D’Olivier Assayas (Fr, 2h03) avec Juliette Binoche, Kristen Stewart…
Mercredi 7 août 2013 Curieux cocktail du duo Verbinski / Depp, entre hommage sincère et pastiche façon Pirates des caraïbes, qui tente de retrouver l’esprit des westerns de série en le mâtinant de réflexion politique sur l’origine de l’Amérique.
Christophe Chabert
Jeudi 20 décembre 2012 Les dix meilleurs et les dix pires films de l'année 2012 choisis par les lecteurs du Petit Bulletin.
Mercredi 23 novembre 2011 De Bruce Robinson (ÉU, 2h) avec Johnny Depp, Amber Heard, Richard Jenkins…
Vendredi 18 mars 2011 Un caméléon domestique doit affronter un Ouest sale, hostile et asséché, dans ce western animé boulimique qui peine à trouver sa voie, sauf quand son réalisateur Gore Verbinski le transforme en portrait assez juste de Johnny Depp.
Christophe Chabert
Mercredi 26 janvier 2011 De Tom Hooper (Ang-Austr-ÉU, 1h58) avec Colin Firth, Geoffrey Rush, Helena Bonham Carter…
Vendredi 19 mars 2010 De Tim Burton (ÉU, 1h49) avec Johnny Depp, Helena Bonham-Carter…
Vendredi 3 juillet 2009 De Michael Mann (Éu, 2h11) avec Johnny Depp, Christian Bale, Marion Cotillard…
Jeudi 25 septembre 2008 Reprise à l’Institut Lumière d’«Edward aux mains d’argent», premier volet de la collaboration fructueuse entre Tim Burton et Johnny Depp, et mise sur orbite d’un style baroque et féérique.
CC
Vendredi 12 septembre 2008 Les meilleurs films du moment ont tous un point commun : ils font de leur décor un personnage à part entière de leur récit et de leurs enjeux.
Christophe Chabert
Mercredi 6 février 2008 Tim Burton, cinéaste, poursuit avec Sweeney Todd l'exploration de son univers gothique, baroque et poétique, en compagnie de son alter ego de comédie Johnny Depp.
Christophe Chabert
Mercredi 30 janvier 2008 Sommet de virtuosité formelle et de beauté plastique, collaboration parfaite entre un cinéaste et ses acteurs, drame macabre et sanglant d'une noirceur totale, le dernier Tim Burton a tout du grand film. Mais c'est aussi, hélas ! une comédie...