La plume et le sabre

Mercredi 28 mars 2007

Figure majeure de l'univers des comics, Frank Miller a vu fleurir ces dernières années les adaptations de ses œuvres à l'écran. À l'occasion de la sortie en salles de la dernière d'entre-elles, 300, retour sur la carrière et les obsessions d'un auteur passionnant. Damien Grimbert

C'est à la fin des années 70 que Miller fait parler de lui pour la première fois, en reprenant les rênes d'une série encore marginale de l'univers Marvel, Daredevil. En quelques années, il confère aux aventures de l'avocat aveugle devenu justicier masqué une aura inédite, qui bâtit rapidement son succès. Il s'attelle alors à donner une existence propre à l'une des figures secondaires de la série, Elektra, tueuse à gages redoutable formée par une confrérie secrète de ninjas. Déjà, affleurent les premières traces de ce qui deviendra par la suite deux de ses thématiques récurrentes, une fascination prononcée pour le polar et les cultures extrême-orientales, et une interrogation incessante de la notion de justice et du bien-fondé de l'exercer. Le milieu des années 80 le voit quitter l'écurie Marvel pour son principal concurrent, l'éditeur DC Comics, chez lequel il s'attelle à la création de l'une de ses œuvres majeures, Dark Knight Returns. À mi-chemin entre le polar, la SF et le fantastique, il dépeint un Batman hanté, sombre, violent et paranoïaque, au moins aussi inquiétant que ses redoutables ennemis. À ce stade, plus de doute, au-delà d'un dessinateur talentueux et novateur et d'un scénariste surdoué, Frank Miller s'impose en véritable auteur, capable d'insuffler à l'univers des super-héros une noirceur, une maturité et une profondeur inédites, sans jamais se départir de la narration addictive et fiévreuse propre aux comics...Burn, Hollywood, burn !Au vu des proximités thématiques, on n'est donc guère surpris de le voir approché par les studios Orion Pictures pour écrire le script des deux séquelles filmiques de Robocop au début des années 90. Déçu du résultat à l'écran, Miller y perd ses premières illusions, et retourne aux comics pour créer une saga urbaine en noir et blanc d'une infinie noirceur, Sin City. Hommage magistral et lyrique au roman noir, la série assoit définitivement la réputation de l'auteur, qui va alors s'atteler à l'un de ses projets les plus ambitieux... 300, un roman graphique virtuose retraçant la mythique bataille des Thermophiles, qui opposa, en 480 avant Jésus-Christ, le roi Léonidas et ses 300 soldats spartiates à la titanesque armée perse dans un combat sans espoir. D'une puissance épique sans précédent, 300 sort en 1998, et crée l'événement mais également la polémique pour sa glorification (supposée) d'un patriotisme exacerbé. Le prix à payer pour un auteur qui, dès ses débuts, a privilégié l'ambiguïté et le réalisme à un manichéisme outrancier ? Une question sans importance pour Hollywood, qui a fait de l'adaptation des œuvres de l'auteur l'une de ses nouvelles mannes. Après deux ratages intégraux (Daredevil & Elektra) suivis d'une vraie réussite (Sin City), on ne sait trop qu'espérer de cette version filmique de 300 signée par Zach Snyder, réalisateur au passif sympa mais sans plus (L'Armée des morts).