Munich

Mercredi 1 février 2006

Spielberg, conscient d'évoluer en terrain miné, livre néanmoins une œuvre puissante sur la perte de l'innocence, d'une nervosité digne du Friedkin de la grande époque. François Cau

Les premières minutes prêtent pourtant à confusion. Les prémices de la prise d'otage laissent filtrer ses partis pris purement cinématographiques ; mais le déferlement médiatique illustré dans les séquences suivantes prendra un malin plaisir à brouiller le vrai et le faux. Les images d'archives et les scènes tournées par Spielberg s'y mélangent de façon virtuose, les plans se chevauchent et chamboulent leurs perspectives avec fluidité. Via cette introduction superbement menée, le metteur en scène plonge le spectateur au cœur de la traque qui s'ensuit. Avner, jeune agent du Mossad, choisit de disparaître avec quatre autres hommes afin d'accomplir sa lourde besogne. La traque sera longue, les planques tendues, la paranoïa galopante. Les tuyaux du mystérieux informateur français (Amalric, miraculeusement bon dans son rôle de caricature ambulante) seront hors de prix et parfois piégés, les exécutions brouillonnes et sanguinolentes au possible. Avner va passer du stade de patriote fringant et plein de bonne volonté à celui de mercenaire au teint cadavérique.La couleur pourpreUne métamorphose dont Spielberg fait l'enjeu central de son film, quitte à l'encombrer de l'incunable background familial, surlignant avec plus ou moins de bonheur le caractère fictionnel de l'œuvre. Le cinéaste marche sur des œufs et le fait sentir au détour de scènes où l'opposition des deux camps s'annule d'un didactisme pesant. Le carton introductif nous avait pourtant prévenu : le film "s'inspire" de faits réels, et en restitue les flous pour mieux enfoncer son héros dans une spirale dont il refusera de relever l'absurdité aussi longtemps que possible. Pour précipiter ce déclin moral et physique, Spielberg fait parler la poudre : chaque assassinat et chaque flash-back livrera son lot de tensions admirablement mises en scène. La barbarie bouffe les protagonistes et cette perte progressive d'humanité culminera dans une séquence beaucoup plus risquée que l'absence de discours sur la question israëlo-palestienne : de retour dans son foyer, Avner trompe son insomnie en faisant l'amour à sa femme, les images du dénouement de la prise d'otages de Munich lui reviennent, lui font accélérer la cadence. Une scène atypique de la part du metteur en scène, dont la brutalité radicale réveille le spectre des meilleurs polars des années 70-80. L'étourdissante conclusion, même si elle constitue le douloureux point d'orgue d'une VF souvent lamentable, confirme l'évidence : Spielberg nous aura asséné une interprétation cinématographique fulgurante, constatant avec fatalité le chaos dans lequel son monde s'enfonce.Munich de Steven Spielberg (EU, 2h40) avec Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz...