Maudit artiste

THÉÂTRE/MUSIQUE / Chacun pense librement ce qu’il veut de Jean-Louis Costes. Il y a une seule chose qu’on ne peut pas lui enlever : le seul exercice de ses spectacles, au-delà de toute qualité artistique, est une œuvre à part entière, souvent grandiose, toujours révélatrice. Entretien à l’occasion de son passage au Théâtre 145. Propos recueillis par François Cau

Pour revenir sur la sortie de votre premier roman, Grand-Père, vous distillez sur votre site le chaud et le froid : vous proclamez que c’est un échec cinglant et deux jours plus tard…Costes : … Je prends les mêmes chiffres et je dis que c’est un succès, AH AH AH. ! Fayard m’avait laissé entendre que le premier tirage était de 5000 et le second de 3000, donc je pensais que j’étais parti pour en vendre 10000. Mais ces chiffres étaient faux, c’est ça qui m’a fait un choc. Quand on n’a pas d’agent chez un éditeur, on n’a pas les chiffres de tirage. Je m’en fous, je suis habitué, mes Cds je les vends à 20 exemplaires, donc finalement ne vendre “que“ 2000 livres, comme c’est le cas, c’est toujours bien. Mais ils composent avec des mecs et leur ego qui voudraient qu’il y ait 50000 exemplaires de leur bouquin disponibles dans tous les supermarchés. Donc ils gèrent les questions avec cet espèce de silence, avec des expressions du type “environ…“. Je suis sûr qu’ils ont peur des crises des auteurs qui veulent tous devenir star. Mais sur le coup, ça fait quand même un choc. Déjà, il y a une disproportion entre toute la promo qu’il y a eu et les ventes.Et du coup, Fayard a refusé votre deuxième roman.C’est sûr que si j’avais vendu 20000 exemplaires, ils l’auraient trouvé beaucoup moins mauvais… C’est dur de comprendre les stratégies des grosses maisons d’édition, cette pyramide de décisions. Je suis habitué à travailler avec des gens à mon niveau, dans des contextes où je ne suis pas la fourmi. À chaque fois que vous collaborez avec des artisans d’une culture plus “mainstream“, vous vous réjouissez un premier temps avant d’avoir un retour de bâton. Vous n’étiez pas très tendre en relatant vos jours de tournage sur Irréversible…Dans ce cas-là je me suis permis cette tribune parce que je n’avais pas un rôle très important. Ça amusait Gaspar Noé de me donner ce rôle-là, et ce qui m’intéressait, c’était de voir ce mec passionné en plein travail. C’était le côté génial de l’expérience. Après, il y a la méthode Dupontel, qui a cette super bonne image. C’est simple, il n’est même pas venu tourner la scène, tu regardes le film, pendant trois minutes il disparaît, ça veut dire que pendant trois jours il a disparu. Je ne sais pas si c’est parce qu’il ne voulait pas tourner avec moi, je vois juste un mec qui est payé et qui ne vient pas bosser. C’est comme ça que je juge les gens. Mais pour ce qui est du roman, on ne peut pas dire que j’ai été utilisé par Fayard. Sur le papier, c’est même moi qui leur devrait de l’argent. Apparemment, j’ai été trop payé, en plus d’avoir des médias comme je n’en ai jamais eu. C’est vraiment un bon coup, mais avec cette déception derrière de se dire qu’on va enfin sortir la tête de l’eau financièrement, avoir des revenus réguliers… Puis de voir la bulle d’air disparaître.Est-ce que vous considérez vraiment le net comme l’ultime bastion de la liberté d’expression, comme vous le sous-entendez dans quelques-uns de vos textes ?De la liberté d’expression je ne sais pas, mais pour la diffusion, la promotion, oui. Il y a un truc que les grosses sociétés d’édition ou autres ne comprennent pas bien, c’est la patience. Il n’existe pas d’effet de mode. Il faut laisser progresser, attendre le bouche-à-oreille. Je comprends bien que Fayard ne raisonne pas avec la même échelle. Internet est un espace pour s’exprimer, où l’on n’a pas besoin d’attendre la permission de respirer. Mais dans une totale liberté, non. C’est très facile à surveiller. Et puis on peut faire dire n’importe quoi à un personnage de fiction, mais ce statut n’est pas clair sur la toile. Même pour de la fiction, on peut se faire taxer d’apologie du crime, il y a cette confusion entre l’œuvre, l’interprète et la réalité. Pour parler du racisme, puisque c’est surtout avec ça qu’on me stigmatise, mon propos est de dire que si on n’avait pas les concepts racistes en nous, on ne serait pas capable de comprendre, on ferait “aga aga aga“ sans essayer d’aller plus loin. On a ça, on a tous une part de criminalité en nous, et c’est quand je reconnais l’existence de ce potentiel qu’on me retourne l’argument en disant “donc, vous admettez être raciste“. C’est tout l’inverse, je reconnais que c’est une question de situation, de pressions qui feraient ressortir ma part agressive. Mais en résonnant posément, les contradictions de mon site Internet par exemple témoignent que je ne suis ni raciste ni revendiqué de n’importe quel parti.Vous retournez les discours contre ceux qui les emploient.Ce serait plutôt l’influence de la société, de tout ce qui est autour de moi. C’est quelque chose qui me flotte dans la tête, que j’ai pu entendre à la radio, une fille qui m’a fait chier, mon bonheur amoureux. Si on parle d’Hitler tous les jours dans les journaux, et qu’on ne le retrouve pas dans l’œuvre, il y a un problème. Depuis une vingtaine d’années, impossible d’ouvrir un journal sans que quelque chose ne soit lié au racisme, au nazisme, aux conflits ethniques. C’est une réalité, je la fais ressortir. Vous pensez que c’est le côté cru des spectacles qui crée ces procès d’intention ?Je pense plutôt que c’est le texte, la nudité n’est plus un problème, la pornographie est partout. Ça reste rare qu’on me prête des intentions politiques, le principal procès qu’on me fait c’est d’être nul, ridicule, très mauvais. On va juste dire que c’est du pipi caca. C’est l’aspect nudité et crottes en chocolat qui leur permet de dire ça très vite. C’est pourtant un sujet super intéressant, je me suis aperçu qu’il y a toujours quelque chose à dire dessus. Et en France, on a de ces trucs en scatologie, les 11000 verges d’Apollinaire, Gargantua… Il y a aujourd’hui un côté très comique dans le fait que les gens n’aient plus du tout envie d’en entendre parler…Comment Les petits oiseaux chient a été conçu ?Je cherche un scénario quelconque, un prétexte, je développe ça en scène, je fais la musique très grossièrement, en prévoyant des plages musicales volontairement trop longues. L’actrice arrive, on fait les essais - elle fait ce qu’elle veut au niveau de l’interprétation. On voit enfin la musique ensemble, on fait des va-et-vient entre les répétitions. La nouveauté, c’est que je savais que j’allais jouer à l’étranger, et comme dans les pays anglophones ils pensent que je parle français quand je leur cause en anglais, j’ai voulu faire une histoire de couple universelle, qu’on peut suivre sans les textes.Comment s’est passée la tournée Little birds shit aux USA ? Qu’est-ce que c’est que cet incident à Rapid City ?Dans l’ensemble ça s’est bien passé, il y avait plus de dates et de public que la fois d’avant. À Rapid City, c’est juste les gens du musée qui ont interrompu le spectacle et fait sortir le public parce qu’ils trouvaient que ça allait trop loin, et c’est tout. Je préfère ça que de me prendre des canettes dans la gueule, comme ça a pu arriver. Le lendemain, le journal local parle du spectacle, qu’ils n’avaient pas vu, et entre autres ils disent que c’est un show anti américain, anti chrétien, et en plus performés par des français ! Ça a été repris par tous les blogs conservateurs américains, ou chrétiens de droite, et ils ont claqué un plomb. Ils ne savaient même pas mon nom, mais c’était dans l’esprit “quoi ? un français, un suppôt de Chirac ?!“. Ils m’ont pris pour le gars qui vient leur filer des leçons chez eux en se foutant à poil avec une carotte dans le cul – la totale, quoi. Ça avait déjà bien pété un câble, et le niveau suivant, c’est Associated Press qui a repris l’info par copier coller. C’est hallucinant de voir la plus grosse agence du monde, qui essaie de contrer la rapidité du net sans prendre la peine de vérifier ses infos. Ça m’a vraiment fait stressé, j’ai eu beaucoup de menaces de mort, des messages à la “la prochaine fois on te chopera avec notre pick up, t’as eu de la chance de sortir de Rapid City, c’est la ville où il y a le plus de licence d’armes…“ ; la deuxième date suivante je me suis pris une bouteille dans la gueule. Le journal de Rapid City a compris que les choses étaient allés trop loin et ils ont écrit un truc pour calmer le jeu. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser de l’ambiance de la Bible Belt, ils ont tout de même fait la distinction entre nudité artistique et exhibitionnisme. Donc comme je jouais dans un musée, je n’ai pas été inquiété.Vous restez optimiste sur l’avenir de la création artistique en France ?Il y aura toujours de l’espoir. Les gens peuvent rester chez eux et accoucher d’un truc génial. Ça ne peut pas s’arrêter, ça relève du besoin naturel, comme l’envie de pisser. Le seul truc qui freine ça c’est les subventions. Les gens en place ont tendance à se freiner pour satisfaire les canons, mais il reste tout de même de la créativité, même si elle est moins évidente. C’est psychique, une alchimie bizarre. Comme j’ai toujours cette image de solitaire incompris, on m’envoie beaucoup de Cds, de films, de textes, où il y a souvent des choses intéressantes. Mais quant à savoir s’ils vont percer…D’autant que la tendance est à l’uniformisation culturelle, au détriment des plus petits…Le problème ne vient pas forcément d’un parti politique. Si le politicien veut contrôler la culture comme un élément de son prestige, là, ça pose problème. On peut plus jouer n’importe quoi, parce que sinon l’électeur ou un opposant va arriver le jour de l’élection et lui dire “regardez les saletés qu’il promeut“, montrer les photos de mon spectacle et il va perdre 2000 voix ou plus... Ça peut venir de n’importe quel parti, si il y a contrôle de la programmation culturelle, il y a problème. À Saint-Denis, ville communiste, je n’ai jamais joué et ne jouerai jamais. C’est barjo, et pourtant ils balancent des millions dans des gros festivals, entretiennent comme des coqs en pâte des artistes à moitié tarés... Je ne veux pas mettre dos-à-dos les partis politiques, mais parler de cette volonté de considérer la culture comme une arme idéologique. Les politiciens font des salles de musique actuelle des cubes. Si ensuite toutes les assos intéressées de la ville peuvent programmer à égalité entre elles, on obtient quelque chose d’intéressant, ça entretient la passion, ça stimule la créativité. Les petits oiseaux chient Par Costes et Famfinalele 20 juin au Théâtre 145

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