Comme un ouragan

En l'espace d’une street-tape, “Pour les filles”, Cuizinier a ouvert une nouvelle voie pour l’électro hip-hop français, et fait grincer un nombre non négligeable de dents au passage. Analyse du phénomène à l‘occasion de son passage à EVE. Damien Grimbert

Mais commençons par les présentations. En parallèle de cette première prestation solo, Cuizinier est avant tout le C de TTC, un groupe de hip-hop décalé et avant-gardiste dans lequel on retrouve également les MCs Tekilatex et Tido Berman. Seule formation rap française signée à l’étranger (sur le prestigieux label anglais Big Dada, sous-division hip-hop de Ninja Tune qui compte en son sein des pointures comme Roots Manuva, Diplo et depuis peu Spank Rock), le trio s’est imposé en l’espace de deux albums comme l’épicentre d’une nouvelle scène hip-hop novatrice et hors-norme, qui a su captiver par ses expérimentations et ses flirts avec l’électronique un public qui ne se retrouvait pas (ou plus) dans les standards du rap français.I’m a hustlaOn imagine donc la déconvenue dudit public à la découverte de l’objet Pour les filles, première street-tape (CD promotionnel à tirage limité, dont la distribution “underground” permet à son auteur l’utilisation de morceaux déjà existants sans se soucier des droits d’auteurs) amorçant la carrière solo du rappeur. Sur un fond musical flirtant sans le moindre complexe avec le r’n’b, la pop synthétique, l’eurodance, et la variété (on y retrouve en vrac des reprises de Lenny Kravitz, Billy Crawford, Real 2 Real, Singuila, Julien Clerc ou Isabelle Adjani…), Cuizinier consacre l’intégralité de ses textes à se vautrer avec une complaisance éhontée dans une autosatisfaction absolument démesurée, vantant en vrac ses qualités de rappeur, son élégance vestimentaire, et surtout son succès apparemment sans commune mesure auprès de la gente féminine. Odes outrées au consumérisme effréné, au règne de l’apparence, et à la vulgarité la plus tapageuse («Habillé tout neuf de la tête au pied, je me sens bien. Ça coûte cher ! À ton avis, y’en a pour combien ? C’est jackpot, à chaque pas dans la rue, les pièces s’entrechoquent. Ecoute les billets frémir, découvres ta femme rentrée en cloque»), les paroles du MC se désolidarisent qui plus est du moins second degré, achevant d’acculer au suicide l’amateur d’intégrité musicale qui sommeille en chacun de nous.Nouvelle donneFaut-il pour autant rejeter d’une moue méprisante les provocations délibérément infantiles du MC ? Si la tentation est grande (ne serait-ce qu’au sein même du microcosme de la rédaction), on s’en gardera cependant. Depuis leurs débuts, les membres de TTC ont en effet toujours farouchement lutté contre le formatage musical sous toutes ses formes, et Pour les filles n’est au final qu’une nouvelle étape, certes radicale, dans cette lutte pour l’innovation. Car s’il y a encore une demi-douzaine d’années, le conformisme le plus crasse régnait en maître sur l’univers musical grand public, la donne a dorénavant changé, et c’est souvent au sein même des courants les plus “indépendants” qu’il sévit désormais. Certes, on grossit le trait, et on ne rejoindra clairement pas le camp des fans aveugles du bling-bling pour autant, mais force est de reconnaître qu’attitude humble, propos engagés, et musique savante servent de plus en plus de cache-misère à un flagrant manque d’inspiration, alors qu’en parallèle de nouvelles formes de musiques populaires et dansantes émergent des quatre coins du globe, dans le plus total anonymat ou presque.Dans le(s) club(s)Baile funk au Brésil, reggaeton à Puerto Rico, banghra en Inde, kwaïto en Afrique du Sud, grime en Angleterre, crunk, screwed & chopped, ghetto-tek et baltimore club music aux USA, autant de styles aux rythmes bien distincts, mais qui partagent cependant un nombre étonnant de caractéristiques communes, celles d’une musique de club salace et euphorique, issue des ghettos les plus pauvres, et ouvertement influencée par la pop synthétique des années 80. Si Cuizinier provient d’origines sociales et culturelles radicalement différentes, c’est néanmoins clairement dans la lignée de ces courants (dont l’existence remonte souvent à près d’une quinzaine d’années mais qu’on ne découvre que depuis peu) que s’inscrit sa street-tape, auxquels elle fait d’ailleurs ouvertement référence sur plusieurs morceaux. Et au-delà de cette dernière, une bonne partie de la mouvance eurocrunk (TTC et les artistes du label Institubes, Modeselektor, Radioclit…) qui fusionne ces influences à la tradition électro européenne, ou encore certains DJs/producteurs américains phénomènes comme Diplo, Team Shadetek ou Disco D.L’enculé le plus coolMais ne réduisons pas non plus la “pimp attitude” de Cuizinier en un vibrant plaidoyer en faveurs de musiques du ghetto ignorées, et allons même jusqu’à ignorer la tristesse sous-jacente derrière cet hymne à la fête et à l’overdose d’émotions crânement affiché. Car le MC, malgré l’inanité terrible de ses propos, dispose d’autres arguments. Un flow souvent bluffant (il faut l’entendre prendre au pied levé la relève de Ludacris sur le Oh de Ciara), des punchlines à la pelle, aussi épurées qu’irrésistibles, et surtout un entourage de haute volée : Tacteel qui réussit la gageure de nous rendre fan hardcore de son remix du 3 Wishes de Billy Crawford, Tekilatex qui explose littéralement sur Très Chic, ou encore l’excellent travail de production de DJ Orgasmic sur l’intégralité de la street-tape. On notera par ailleurs la présence de ce dernier le 5 janvier, autre argument majeur pour rallier une soirée dont, vous l’aurez compris, on attend beaucoup.Cuizinier & DJ Orgasmic le 5 janvier à EVEAlbum : “‘Pour les filles” (Disque Primeur), disponible à Chica-Chic, 1 place Doyen-Gosse

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