L'homme éléphant

Un violent pressentiment ressenti à l'écoute d'un CD six titres, un concert vu pendant le Festival de la Chanson Moderne du Théâtre 145, un premier album hallucinant sorti le 24 octobre, et hop, nous voilà devenus fans hardcore du dénommé Fantazio. Entretien avec un incroyable contrebassiste fasciné par les éléphants. Propos recueillis par François Cau

Peux-tu nous expliquer ta relation avec ton instrument ?Fantazio : Je pense qu'inconsciemment c'était pour remplacer ma mère, c'est un truc que j'ai trimballé pendant des années avant de savoir en jouer. Vers 14/15 ans, j'allais dans des théâtres, je l'emmenais, je m'en servais trois minutes mais je ne m'en séparais pas. C'était une sorte de croix, quelque chose à porter, ça me permettait d'avoir un semblant de raison. Sinon, l'explication la plus consciente c'est que ma grand-mère me l'a offert ; j'adorais les contrebasses que je voyais sur les pochettes de disques de rock'n'roll ou de rockabilly du début des années 80. D'où te vient cette passion étrange pour les éléphants ?Quand le film Elephant Man est sorti j'avais 8/9 ans, je pensais que c'était un super héros qui se transformait en éléphant. Et quand j'ai vu l'affiche et que j'ai appris que c'était l'histoire de quelqu'un de déformé, ça m'a filé une angoisse monstrueuse et irrationnelle, je pouvais plus aller à l'école tout seul ; je demandais aux mecs de ma classe de me raconter les scènes pour me faire peur... Bien des années après, j'avais gardé Fantazio (qui était le surnom de quand j'étais punk, quand j'avais treize ans), et Popay (NDLR - son excellent illustrateur attitré) s'est mis a faire des tracts avec l'expression “Elefantazio”, et on est partis là-dessus... J'ai enfin vu le film il y a quatre ans, je flippais un peu pendant le générique, mais je m'en étais fait une telle montagne qu'au final j'ai trouvé ça limite un peu fade.Dix années séparent tes débuts de l'enregistrement de The Sweet Mother Fucking Show. Peux-tu revenir sur tes allées et venues ?Il y a eu un bon moment où je jouais seul, j'étais en roue libre, je trainais, fallait qu'il m'arrive des trucs. Ça a été une accumulation d'expériences, sans trop savoir où ça menait. À un moment je me suis retrouvé à Berlin, on me prêtait un appartement, je trouvais sans problème des lieux où jouer, je ne sais pas, j'étais français, ça me donnait peut-être un cachet exotique. Je progressais, je jouais de plus en plus, jusqu'à dix fois par jour dans des apparts, des galeries, des bars... J'avais des plans au Japon, je suis parti trois mois là-bas, je faisais la manche, je me retrouvais dans des lieux à droite à gauche, puis il y a eu l'Angleterre, la France... Une période de 7/8 ans, un enchaînement de choses un peu confuses maintenant. Au bout d'un moment, le défi était de jouer avec d'autres gens. J'étais seul tout le temps, c'était trop, j'étais devenu un peu autiste sans m'en rendre compte. Ça a pris deux-trois ans avant que je trouve des gens avec qui je m'entendais, qui étaient dans un esprit de recherche, de rapport simple et brut avec la musique. Tu décris ta musique comme un accident sonore...Oui, parce que quand j'essayais d'expliquer ce que je faisais j'avais vachement de mal. J'étais plus du tout dans le rockabilly, je n'achetais plus de disques ; ce que je faisais c'était disons plus des cris que des chansons avec couplets-refrain. Si je savais à l'avance comment se terminait les morceaux ça me déprimait, donc je jouais et je posais tout à coup la contrebasse à terre, et je partais dans une sorte de monologue de ce qui me passait par la tête en français, en espagnol ou en italien. Il fallait que je ne comprenne pas ce qui allait se passer, que je sois au bord du gouffre. J'aime pas trop l'expression prise de risques, c'est un peu pompeux, mais il y avait clairement des moments de rupture. C'était pareil quand je me suis mis à jouer avec d'autres musiciens, je les prévenais tout de même quand les trucs arrivaient. J'ai toujours eu horreur des solos, des trucs structurés où chacun fait sa petite sauce... Le côté aléatoire reste très important, je ne veux pas tomber dans la routine du groupe qui tourne. C'est comme quand tu racontes la même histoire, au bout d'un moment tu te lasses de la raconter toujours de la même manière, quand tu trouves un autre angle ça te soulage... Jouer devant des gens me surprend toujours. Je me sens pas musicien à la base, ici c'est pas comme dans les cultures traditionnelles. En Roumanie par exemple, la musique a une fonction sociale, tu joues pour les mariages, les enterrements, des fêtes... Et ici on peut dire d'une certaine manière que les musiciens jouent sans raison. Et du coup, ça ne te fait pas un peu peur d'enregistrer un CD ? Si... Déjà je trouve ça bizarre, tu te retrouves chez les gens sans y être physiquement et pour moi c'est vraiment étrange ; puis les gens qui viendront au concert voudront entendre des morceaux du disque que j'aurais peut-être pas spécialement envie de jouer ce soir-là... Mais il fallait que je le fasse, c'est presque médical, une façon de me débarasser de vieilles chansons, d'assumer de figer enfin quelque chose, de cesser de n'être que dans l'éphémère. J'étais terrorisé par le studio mais ça s'est relativement bien passé. Je me dis qu'on a fait ce qu'on a pu, qu'il y a sûrement des maladresses, mais d'un autre côté je me méfie des albums trop parfaits. FantazioAlbum : “The Sweet Little Mother Fucking Show”disponible aux librairies Le Square, Bonne Nouvelle, Le Sphinx et à Interface Records

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