Entre terre et ciel

Entretien / La chorégraphe américaine Susan Buirge, ancienne complice d’Alwin Nikolais au début des années 60 aux usa, et installée en France dans les années 70 pour y devenir une des figures majeures de la danse contemporaine, narre avec une infinie chaleur et intensité sa vie dévouée à la matière danse. Propos recueillis par Séverine Delrieu

Vous faites régulièrement des voyages pour nourrir votre travail chorégraphique. Actuellement vous êtes en Chine. Quel est l'objet de ce séjour ?Susan Buirge : J'ai été invitée par le Asian Europe fondation basée à Singapour, une fondation qui met en place des projets culturels. Un de ses projets, Point to point, est axé sur la danse. Ce projet réunit 6 chorégraphes danseurs européens, 6 chorégraphes danseurs venus d'Asie, 3 musiciens européens et 3 d'Asie. Nous sommes 4 conseillers artistiques, 2 pour la danse - 1 d'Europe et 1 d'Asie -, 2 pour la musique - 1 d'Europe et 1 d'Asie. Et nous sommes partis ensemble dans une province chinoise nommée Guizhou dans le Sud Ouest de la Chine, où une quarantaine de minorités vivent dans des territoires autonomes. Il y a un peuple, les Miao qui vit là, au milieu des montagnes, en milieu totalement rural. Et leurs danses sont ancestrales. Ce sont des communautés en danger parce que la télévision, les routes détruisent leurs modes de vie. Nous étions là-bas durant 5 jours - ce fut trois heures d'avion, et 5 heures d'autocar, c'était vraiment la Chine profonde. Nous avons observé les danses, et les fêtes du nouvel an. L'idée, c'est de vivre cette expérience ensemble, mais que chacun collecte son matériau. Puis, par groupe puis collectivement, nous concevrons un projet de 15 ou 20 minutes, des travaux que nous présenterons à Pékin.Justement, avant de créer A l'abri des vents et At cloud Gathering en 2006, vous êtes partie avec Jonathan Harvey dans une communauté tibétaine exilée dans le Nord de l'Inde pour vous y imprégner de leurs danses et musiques.Effectivement, ce projet en Chine, est une extension de mes projets personnels, un miroir de mes préoccupations depuis plusieurs années. Nous étions dans cette communauté tibétaine qui s'est exilée en 59 et qui essaie de maintenir leurs vies et leurs traditions. On voulait partir de zéro pour concevoir un projet. Et j'ai demandé à Jonathan Harvey de trouver un endroit : j'avais besoin d'une terre d'appui, d'une terre d'élan. Il a proposé le Tibet. Ensuite, comment avez-vous procédé ?Nous étions là-bas pour des fêtes du nouvel an, c'était en février. Lui pratique le bouddhisme tibétain depuis plus de 10 ans. Moi, je ne suis ni une spécialiste du Tibet, ni du bouddhisme, mais nous avions comme principe de nous imprégner de ce qui nous était donné à voir. Et pas du tout d'être des ethnologues ou des anthropologues. On voulait recevoir ce qui nous était donné, et partir de là pour construire une pièce. On a eu la chance de voir une très belle célébration avec des danses étonnantes le jour de la fin de l'année. Cette cérémonie nous a énormément touché. On a collecté des matériaux de toutes sortes, musicaux, chorégraphiques, cérémoniaux. À partir de là, on a mis en place une structure générale en quatre parties, avec un début et une fin. Mais on ne savait pas ce que chacun allait faire. Nous avons collaboré dans une grande confiance : j'ai travaillé la chorégraphie seule, lui a écrit sa musique, puis nous avons réuni les deux. Nous étions préalablement d'accord sur les durées, les tempi, les différentes sections. Puis, il y a eu comme une forme de miracle qui s'est opéré, un grand cadeau.Dans At a cloud Gathering, la position du percussionniste est celui du guide, celui qui lance la danse, un initiateur, comme lors de rituels observés ?Oui, la place du tambour est extrêmement puissante. De la même manière que les trompes qui sonnent et qui circulent dans les montagnes. Le son tourne autour. On peut dire que ce ne sont pas les mêmes instruments que l'on retrouve dans la pièce, mais l'influence est forte.L'alchimie entre le mouvement et le son de la percussion est aussi impressionnante qu'émouvante. Comment avez-vous fait ?C'est ce que je nomme un miracle ! J'ai travaillé la chorégraphie dans le silence, et lui a travaillé la musique sans moi. Mais Jonathan et moi, on a quasiment le même âge - il a un an de plus (ndlr 67, et 68 ans). On peut dire qu'on a été élevés – même dans des pays différents - lui dans la musique et moi dans la danse au cœur de la pensée moderne du début du 20e siècle. Après, nous sommes passés lui à la musique contemporaine, et moi à la danse contemporaine. Quelque part, nous avons en nous tout le 20e siècle, et nous en sommes conscients. Mais nous avons avancé, nous n'avons pas vécu dans le passé. Par contre, notre manière de considérer les choses est liée à notre génération. C'est un constat.Pourquoi ce besoin de nourrir votre travail chorégraphique de danses ancestrales ?La première fois que j'ai découvert ces danses, c'était en 89...Vous avez d'ailleurs rédigé un livre qui relate ces voyages...Oui, un carnet de notes. Et j'ai trouvé dans ce voyage au Japon, dans ces danses ancestrales, un pourquoi de la danse. Pourquoi la danse était une nécessité à l'homme, à la communauté. Ces danses sont archaïques, certes, mais profondément ancrées. Et pour moi la danse - oui cela peut être un divertissement, je n'ai rien contre – mais je suis en quête de quelque chose que j'ai trouvé dans ces danses, quelque chose où le danseur est le lien entre la terre et le ciel, où le danse est le danseur, il n'est pas un «moveur», il produit de la matière danse qui émane de son corps, c'est une matière vivante, il est vivant. Et cette matière vivante peut avoir d'autres influences sur d'autres matières vivantes, je crois profondément à cela. La danse peut guérir comme elle peut tuer. Elle a cette capacité à faire pousser les plantes... Vous allez penser, elle est folle, elle est folle (rires)...Non pas du tout... Vous êtes Directrice du Centre de recherche et de composition chorégraphiques de Royaumont depuis 2000. Vous allez quitter vos fonctions en décembre. Quelle sera votre prochaine étape ?Je vais débuter une nouvelle vie. Je pense vivre au Japon, dans un petit village sur la côte Ouest, près des montagnes. Et écrire. Puis mettre en place un centre de recherche sur la chorégraphie contemporaine et les danses ancestrales. Et poursuivre ce travail en partageant avec d'autres, cette chose qui m'intéresse si profondément. Et je pense mûrir encore dans la danse contemporaine. Et écrire..Je ressens la nécessité, non pas d'écrire l'histoire de ma vie, mais des histoires de vie dans la danse sous forme d'un carnet de notes. Et voir comment là-bas, la mémoire fonctionne, dans ce pays que je connais un peu, mais pas trop non plus. Comment faire revenir à la surface ce qu'était ma vie aux États-Unis, en France...C'est une manière de prendre du recul sur votre vie ?Oui, c'est tout à fait cela.À l’abri des vents et At a cloud gathering mar 4 déc à 20h, à La Rampe

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