Construction d'un héros

Adaptation / Difficile, voire impossible, en lisant Pétrole ! d’Upton Sinclair, d’imaginer le film que Paul Thomas Anderson allait en tirer. De fait, les remaniements narratifs sont pléthoriques, mais parviennent miraculeusement à respecter l’esprit de l’œuvre originale, mieux, à remettre son propos en perspective avec une pertinence des plus audacieuses. Premier changement essentiel, le point de vue de l’intrigue change totalement. Le narrateur n’est plus le fils de l’industriel et son regard malicieusement ingénu, mais l’industriel lui-même, Arnold J. Ross, rebaptisé Daniel Plainview (qu’on pourrait traduire littéralement par “terre-à-terre”). L’homme est seul, ou plutôt sciemment isolé : sa pittoresque famille bourgeoise disparaît, son fils n’est même plus le sien, mais celui d’un ouvrier mort au fond d’un puit – un écho lointain du scénario de Hard Eight (voir encadré ci-dessous), mais surtout un recentrage fatidique “légitimant” tous les choix les plus radicaux de son héros. Aux complexes descriptions du moindre détail en lien avec l’industrie pétrolifère, Paul Thomas Anderson privilégie le silence ; aux saillies rhétoriques manipulatrices d’Arnold J. Ross, il préfère le froid pragmatisme de Daniel Plainview. Paul Sunday, frère idéaliste du fanatique Eli, personnage essentiel à la construction de la psyché du jeune héros de Pétrole !, disparaît presque totalement au profit de son pendant extrémiste. Enfin, dans le livre, Arnold J. Ross, pour s’attirer les faveurs de la très religieuse famille Sunday, prétend appartenir à une imaginaire église de la troisième révélation – le lendemain, en espionnant une cérémonie conduite par Eli, il s’aperçoit que le prédicateur juvénile s’est réapproprié ses propos, implicitement ironiques, pour son prêche. Le businessman déclenche ainsi, malgré lui, une ferveur religieuse qui s’étendra progressivement à toute la Californie. On vous laisse découvrir par vous-même comment Paul Thomas Anderson détourne, à bon escient et avec un culot monstrueux, cette intrigue secondaire dans son terrassant climax. François CauPétrole ! d’Upton Sinclair, réédité par les éditions Gutenberg

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