Période d'acclimatation

Trois mois que la France connaît les effets de la loi anti-tabac. Chez les consommateurs, la discipline est de rigueur, mais de l’autre côté du comptoir, le ton oscille entre acceptation franche, conciliation, et quelques acrimonies restant malgré tout minoritaires. FC

Mais où sont donc passés les anarchistes libertaires, les irréductibles du café / clope dont les JT nationaux nous abreuvaient des farouches incitations à la résistance aux premières heures du changement de législation ? A priori, pas à Grenoble. Sur les quinze lieux visités, on relève depuis janvier un seul incident (un automatisme vite réglé au London Pub), et la constatation d’une pratique marginale (une poignée de tauliers baisseraient le rideau à partir d’une certaine heure, et perpétueraient les vieilles habitudes tabagiques), dont il est encore trop tôt pour mesurer les effets concrets. Mais globalement, le consommateur grenoblois s’est plié aux nouvelles règles avec docilité.
Smaïn, directeur non-fumeur du London Pub, ne cache pas son enthousiasme : «Les fumeurs préfèrent sortir, rentrer à l’intérieur et n’y découvrir aucune fumée. Ça peut sembler paradoxal, mais c’est comme ça que ça se passe, tout le monde apprécie la chose. Un vieil habitué est venu la semaine dernière, et m’a fait remarquer que c’était la première fois qu’il voyait le fond de mon établissement». À la fête…
Comme prévu, les réactions sont globalement très positives à quelques exceptions près (on y reviendra). Forcément, les premiers ravis sont les non-fumeurs. Du Loco Mosquito («On a des gens un plus âgés qui venaient moins du fait de la chaleur et de la fumée, qui reviennent et restent même plus longtemps. Et de notre côté, on est ravis, on n’est plus obligés de mettre les vêtements directement dans la machine à laver en rentrant à la maison») au St-Arnaud («Tout se déroule à merveille, j’espère que beaucoup de gens vont en profiter pour arrêter») en passant par le Shaman et le London (où l’on a même enregistré une petite hausse de la fréquentation, due au retour de clients non-fumeurs), l’ambiance est même à la satisfaction globale.
Alexandre du bar À l’Ouest, Christophe du St-Christophe et Farid du Bukana Pub reconnaissent volontiers l’impact positif sur leurs poumons, et acceptent quasiment sans réserves ce changement.
Farid ne peut s’empêcher de remarquer que «Tant qu’à faire, il aurait fallu y aller jusqu’au bout et carrément interdire le tabac… Cette loi est bien pour les restos, maintenant pour ce qui est des pubs et discothèques, c’est une autre histoire. On aurait pu imaginer qu’on puisse donner le choix aux établissements, et les clients auraient composé leurs soirées en fonction de l’atmosphère recherchée. Mais c’est sûr qu’après, à un niveau personnel, je suis passé d’un paquet par soir à 10 clopes. Ça veut tout dire».À la maison…
Passé l’enthousiasme (parfois un rien forcé !), vient le moment de s’attaquer aux sujets qui fâchent déjà un peu plus. Pour qui est de la fluctuation de la clientèle, en dehors des chanceux précités, on enregistre une baisse notable depuis janvier, pouvant aller de 5% à 20%. Si d’aucuns ne manquent pas de souligner le contexte économique peu favorable (et ce fameux pouvoir d’achat que tout le monde montre du doigt d’un air accusateur), on ne peut manquer de remarquer que l’aspect indirectement coercitif de la loi a forcément joué sur le mental des consommateurs potentiels.
Au Mark XIII, on avance que «On a poussé les gens à rester chez eux. Ils ont moins les moyens, ils savent très bien que ça leur coûte deux à trois fois plus cher que d’acheter directement la boisson ; et la clope a joué le rôle de déclencheur».
Quelques rues plus loin, au St-Louis, on constate une baisse de clientèle : «On a une école à côté, où ils ont une machine à café. Là, ils ne peuvent plus s’asseoir, se poser tranquille, ils préfèrent rester dans leur établissement. On a compensé un peu au niveau des repas le midi, mais le coeff n’est clairement pas le même». Un son de cloche apparemment comparable au St-Christophe, mais plus nuancé : «J’ai enregistré une baisse de 5% dans les 15 premiers jours de janvier – pour ne pas dire 3% - puis c’est rentré dans la normale tout de suite derrière. Je suis surtout content pour les gens qui sont à table, c’est toujours mieux de savourer sa souris d’agneau sans un gros cigare qui s’allume à côté».
Au bar À l’Ouest, le turn over accru entre la terrasse et un intérieur désormais plus respirable a quasiment doublé la clientèle certains soirs.À la rue…
Du côté du Sun Valley, le bilan se fait plus alarmant : «J’ai calculé une perte de 20% pour février et d’environ 30% pour mars, et en plus, je venais juste de mettre l’établissement aux normes avec des extracteurs de fumée quand la loi est passée… On n’a pas de nouvelle clientèle. Ça a clairement tapé sur le moral des gens, ils viennent boire un verre mais c’est triste, ils fument leur clope et repartent tout de suite après, il manque clairement quelque chose».
Nicolas du O’Callaghan reste quant à lui optimiste. «On a eu une baisse de 10% en janvier, là en mars on en est à 3%, on devrait revenir à des chiffres équivalents au bout de six mois de législation, comme en Irlande et en Italie». Le plus ardent défenseur de la loi, Smaïn du London, reconnaît que «Les établissements qui ouvrent tôt, les brasseries et les bars, ont un manque à gagner que j’estime à hauteur de 15% à 20% en discutant avec mes collègues.
Il y a tout un rituel : on vient à deux-trois, on prend un café, on fume, on joue au tiercé, que des coutumes qui sont désormais à revoir entièrement et clairement, ça leur fait du tort».
C’est un fait, le cérémoniel du rendez-vous au bar du coin connaît d’incontournables variations : si l’on tergiverse à n’en plus finir sur l’appréciation de “l’instant clope“ (d’un côté, ceux qui la savourent du fait de sa récente “sacralisation“, de l’autre, ceux qui se plaignent de la hâte avec laquelle il faut la finir), il est un point relativement problématique sur lequel tout le monde s’accorde – la gestion de la clientèle recluse en extérieur. En boîte ?
De tous les côtés, c’est le plus gros changement entraîné par la loi, et celui qui nécessite le plus de vigilance de la part des établissements. Nicolas du O’Callaghan admet que «Ça entraîne des complications, un impact incontestable pour le voisinage», lequel devra à présent composer avec du bruit non plus quelques semaines par an, mais bien toute l’année.
Aymeric du Mark XIII souligne que «Le gros danger interviendra cet été, avec les gens qui sortiront plus, et le tapage nocturne comme les interventions des forces de police que ça va entraîner.
Déjà qu’on est sanctionné en termes de fréquentation, si en plus la répression accrue vient s’ajouter, ça ne va vite plus être possible». Reste la possibilité, évidemment très contraignante en termes économiques, de créer des espaces fumeurs en conformité avec la rigidité rédhibitoire de la législation aujourd’hui en vigueur.
Arkange, directeur du club homonyme et du Vieux Manoir, est l’un des premiers tauliers grenoblois à s’y être plié. Le lieu bénéficie d’un fumoir de 33 mètres carré au look médiéval, et d’un deuxième espace fumeurs d’une dizaine de mètres carré. «On respecte la réglementation, ça ne dépasse pas les 35 mètres carré ni les 20% de la superficie totale du lieu. Ce sont des endroits où l’on ne peut pas mettre de musique, où l’on ne fait pas de service, où les clients ne peuvent pas venir avec leurs consommations, et où tout est dans les normes en termes de ventilation et d’extraction. Les gens ont dû trouver leurs repères, ça a tendance à vider les pistes de danse, ça fait de gros mouvements de foule à gérer, mais ça a créé un espace de convivialité supplémentaire».
Inutile de préciser que ces aménagements ont coûté un œil. Et vous savez la meilleure ? Arkange est non-fumeur. «Fume et boit qui veut. Ceci dit, il faut respecter la liberté des autres, c’est ce qu’on a fait en construisant ces fumoirs, qui ne donnent pas l’impression pour autant aux fumeurs d’être des animaux exhibés dans des cages à verre». Un grand merci (et un léger mais sincère poutou) à toutes les personnes interrogées pour leur disponibilité

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