L'ordre moral cannois

Après l'édition très rock'n'roll de l'an dernier, le festival de Cannes 2010 semble avoir choisi la rigueur pour sa sélection. Du coup, ce sont les films fous et les cinéastes faussement sages qui raflent la mise. Christophe Chabert

Tout fout l'camp, ma bonne dame et quand on entend c'qu'on entend, on a bien raison de penser c'qu'on pense ! Est-ce l'avis fatigué du critique aux neurones grillées à mi-parcours par le marathon cannois ? Non, tout va bien, merci... Il s'agit plutôt de la rengaine qui se dégage de certains films vus cette année au festival. Un relent moralisateur parcourt pour l'instant la sélection et là où l'on attendait des fictions de crise, on assiste au contraire au triomphe de la pensée vieux con, et ce quel que soit l'âge du capitaine-cinéaste. Exemples : Chatroom d'Hideo Nakata (Un certain regard), ou comment transformer les clichés réac d'Hortefeux sur Internet en film pour parents d'élèves angoissés et singulièrement à côté de la plaque. Pas mal non plus, la lourde leçon de Wang Xiaoshuai dans Chongking blues (Compétition). Pendant que les pères se tuent à la tâche, les enfants vont, ô scandale, faire la fête dans des clubs techno, jouent toute la journée au baby-foot sur les toits et s'expriment avec quatre mots de vocabulaire, les p’tits cons ! Pire : ils ont la mauvaise idée de crever en laissant leurs parents pétris de culpabilité. Dans le très médiocre Un homme qui crie (Compétition), Mahamet-Saleh Haroun montre un père qui envoie son fils se faire massacrer au front, ce qui lui permet de récupérer son travail. Un mauvais père, enfin ? Pas vraiment, car le fiston avait la fâcheuse tendance à glander à son poste là où son papa, lui, mettait du cœur à l'ouvrage. De là à dire qu'il l'avait bien cherché, il n'y a qu'un pas que ce film lourdingue ne franchit heureusement pas, mais presque.Autosatisfaction
Dans ce début de festival plutôt tristounet, les films s'enchaînent ainsi entre auteurisme autosatisfait (la grosse déception Aurora de Cristi Puiu, le pénible Pal Adrienn d’Agnes Kocsis, la baudruche dégonflée Xavier Dolan et son navet Les Amours imaginaires, tous trois à Un certain regard) et vide cosmique (Tavernier et son gros pudding de cape et d’épée La Princesse de Montpensier — Compétition, Oliver Stone et Ridley Scott en roue libre avec leurs blockbusters mités Wall street et Robin des bois — Hors compétition). Très applaudi et déjà archifavori pour la Palme, Another year de Mike Leigh réussit l'exploit de synthétiser le pire de ces deux tendances : d'un côté, une forme verrouillée à triple tour, manipulatrice en diable et d'une absolue théâtralité ; de l'autre, un discours sournois, cynique et manichéen où l'on nous demande de compatir au malheur d'une fille que Leigh passe son temps à enfoncer à coups de marteau scénaristique, jusqu’à un acte final insupportable de mesquinerie et de chantage mélodramatique. On ne va pas se faire des amis en descendant ce film démagogique et détestable, mais il a provoqué chez nous un agacement durable dont on ne se remet pas.Euphorie(s)
Même si le bilan est pour l'instant plutôt négatif, il y a eu déjà de beaux films dans ce festival. Deux grands anciens ont démontré qu'ils avaient encore de l'appétit : l'increvable Manoel de Oliveira et son fantaisiste Étrange cas Angelica (Un certain regard), où il s'aventure avec culot dans un fantastique primitif et parle de la mort comme un passage poétique qui ressemble comme deux gouttes d’eau (de fleuve) à un grand geste artistique. Et Woody Allen qui, avec You will meet a tall dark stranger (hors compétition), signe une comédie inquiète, au bord du drame, où la folie triomphe sur la tentation angoissée de contrôler sa vie. Belle surprise, le Tournée de Mathieu Amalric (Compétition) repose sur une santé débordante, grisante et contagieuse grâce une mise en scène d'une invention et d'une maîtrise jamais tapageuses. Im Sang-soo dans The Housemaid (Compétition) se livre à une farce sociale grinçante, visuellement sidérante quoiqu'un peu trop sûre de sa virtuosité lorsqu'il s'agit de remplir les rares temps faibles de son scénario. Un jeune Mexicain, Jorge Michel Grau, a secoué la Quinzaine des réalisateurs avec Somos lo que hay, la chronique aussi drôle que terrifiante d'une famille de cannibales dans la banlieue de Mexico qui se nourrit de la chair des minorités environnantes (enfants perdus, putes, pédés). Terminons sur les deux coups de cœur de ce début de festival : le déjanté Kaboom de Greg Araki (Séance de minuit), cocktail euphorisant de teen movie, de comédie sexuelle et de n'importe quoi ludique célébrant en toute jouissance la fin du monde et la mort du cinéma. Et l'impressionnant Mardi, après Noël de Radu Muntean (Un certain regard). Cinéaste Roumain remarqué avec son précédent Boogie, il fait un pas de géant en racontant un adultère en apparence banal où des bourgeois aisés et bien élevés vont se déchirer à force de petits mensonges et de grandes lâchetés. Muntean ne fait la morale à personne, lui. Il est à la fois en empathie avec ses personnages (génialement incarnés par trois acteurs parfaits) et à la bonne distance de son sujet, notamment par sa science hallucinante du plan-séquence et du cadre, toujours juste, toujours vibrant, toujours sur la brèche. Un film formidable dont l’absence en compétition laisse un peu songeur (en attendant la suite et la fin du festival…).

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 17 octobre 2023 L'édito du Petit Bulletin n°1221 du 18 octobre 2023.
Mercredi 6 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or "Anatomie d’une chute" et sans doute favorisé par la grève affectant...
Lundi 24 avril 2023 Le secteur culturel grenoblois s’empare, depuis peu mais à bras-le-corps, du sujet épineux de la transition écologique. Mobilité des publics, avion ou pas avion pour les tournées des artistes, viande ou pas viande au catering, bières locales ou pas...
Lundi 13 février 2023 Dans la catégorie humoriste nonchalant, on demande le pas encore trentenaire Paul Mirabel, drôle de Zèbre (c’est le nom de son spectacle) qui cartonne depuis (...)
Lundi 16 janvier 2023 Trois soirées électro à Grenoble pour faire bouger tes nuits : Ed Isar le 24 janvier à la Bobine, Umwelt le 27 janvier à l'Ampérage et une Semantica Records night le 28 janvier à la Belle Électrique.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X