Rêves bourgeois

Expo / Il y a cent ans mourait Henri Fantin-Latour. A cette occasion, le musée de Grenoble rend hommage à ce peintre, né à Grenoble en 1836, qui n’a jamais connu de grande gloire, mais qui n’a cependant jamais été oublié. Vincent Verlé

Car tel est bien le problème de Fantin-Latour. S’il a connu un succès manifeste de son vivant (en témoignent les nombreux prix et hommages qui lui ont été décernés tout au long de sa carrière), il n’a jamais côtoyé les sommets de la gloire comme certains de ses amis ou mentors au rang desquels se comptaient notamment Delacroix et Manet. Mais la mort ne l’a pas non plus remisé dans les recoins obscurs de l’histoire de l’art où sa peinture aurait pu le conduire. Peut-être est-ce dû à son talent de portraitiste d’une époque artistique révolutionnaire désormais révolue. Peut-être est-ce dû à l’intelligence de sa femme qui, en gardienne de l’œuvre de son mari, a fait en sorte d’entretenir sa mémoire. Par le biais d’un catalogage précis de ses créations, par le biais d’une série de donations, notamment de l’œuvre dessiné jusqu’alors très peu exposé, dont le musée de Grenoble, parmi d’autres, a bénéficié. C’est une partie de cette donation que présente aujourd’hui le musée : 71 dessins et lithographies qui nous font pénétrer dans la genèse créatrice de Fantin-Latour. Tolérante sympathieOn y voit des copies d’après maître, des études d’après modèles vivants, plusieurs dessins préparatoires. On suit ainsi, pas à pas, la formation du peintre débutant. On y remarque la grande maîtrise du trait, la recherche d’une réalité toujours plus pertinente. Puis l’on glisse délicatement vers ses premières représentations, notamment des portraits de son entourage, de lui-même aussi. La technique se fait alors plus précise. Le crayonné, le clair-obscur viennent se mettre au service d’une représentation délicate de sa sœur Nathalie ou de son père. La plume et le lavis procurent à ses réalisations une force mystérieuse, comme dans cet autoportrait de 1858 où transparaît toute l’inquiétude d’un peintre face à lui-même. Puis l’on gagne des esquisses où l’on suit l’évolution d’une composition (Thétis et Pelée), avant-coureuse d’une tentation pour la représentation d’un imaginaire jusqu’ici bridée par une représentation attentive de la réalité. Et c’est là qu’apparaissent toutes les contradictions d’un peintre fidèle à une esthétique que ses contemporains assaillent jusqu’à la faire vaciller aux portes d’une modernité triomphante. Car peintre d’atelier, il ne se jette dans le rêve que lorsque le réalisme lui paraît trop court et qu’il y étouffe. Hélas, comme le fait remarquer le critique René Marc Ferry en 1906, son rêve ne passe jamais la porte de ce fameux atelier. D’où une série de compositions empruntées à l’imaginaire de musiciens dont on sait qu’il aime le travail : Brahms, Schumann, Berlioz ou encore Wagner. Il y libère son imagination en s’inspirant des opéras de ses héros. Leurs représentations donnent alors corps à une musique impalpable. Mais peintre bourgeois il reste, en assénant à ses héros rêvés toute la rigueur pompière de son réalisme terre à terre. A peine se libère-t-il le temps de quelques dessins à la féerie magistrale. Ainsi Fantin-Latour reste-t-il fidèle au métier qui a fait sa réputation. Celle d’un peintre autant célèbre pour ses portraits de groupe que pour ses natures mortes. Un homme qui, collant à son époque, a restreint sa vie pour mieux creuser son sillon dans la part discrète et retirée qu’il se réservait et que l’on peut entr’apercevoir le temps d’une exposition.

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