Vendredi 15 septembre 2023 Que se passe-t-il dans les musées en cette fin d'année ? Du dessin, de la photo, de l'architecture, des planètes... Petit tour des expos qui vont rythmer l'automne.
«Dialogue fertile»
Par François Cau
Publié Lundi 7 mars 2011 - 5581 lectures
Photo : Marc Chagall, Le Marchand de Bestiaux © ADAGP
La très attendue exposition sur Chagall et l’avant-garde russe (hors-les-murs du Centre Georges Pompidou) ne faillit pas à ses promesses, dévoilant tout l’intérêt de son sujet avec clarté et générosité. Angela Lampe, conservatrice à Beaubourg et co-commissaire de l’exposition, nous parle de Chagall et précise la mécanique du parcours présenté. Propos recueillis par Laetitia Giry
Petit Bulletin : Cette exposition est une idée de Guy Tosatto, directeur du musée de Grenoble et co-commissaire de l’exposition…
Angela Lampe : Oui, la demande est venue de Grenoble. A l’époque de la fermeture du centre (1997-2000), le Musée de Grenoble n’avait pas pu bénéficier d’un hors-les-murs, d’où l’ambition de Guy. C’est également de lui qu’est venue l’idée de s’intéresser au fonds consacré à l’avant-garde russe. On a ensuite décidé d’effectuer un regard croisé sur notre collection : d’un côté l’avant-garde russe, de l’autre Marc Chagall.
Vous parlez d’un « dialogue fertile »...
Exactement, il y a deux expositions en une seule. L’enjeu étant de présenter Chagall sous un nouveau jour. Il est communément considéré comme un artiste singulier, qui travaille un peu en marge des courants stylistiques. Notre mission était de montrer à quel point il s’inscrit dans cette période très faste et foisonnante de l’avant-garde. On montre d’ailleurs ses débuts, ses œuvres produites avant son départ de Russie en 1922.
Comment a été conçue l’exposition ?
Le parcours est chronologique, il suit le cheminement de Chagall et l’histoire de l’avant-garde russe. On a opéré une alternance entre les salles dédiées à Chagall et d’autres consacrées à des figures comme Kandinsky ou des mouvements comme le constructivisme ou le suprématisme. Un ordre donc à la fois chronologique et thématique.
Comment situez-vous Chagall dans ces différents mouvements ?
On peut parler de convergences et de divergences. Un dialogue tantôt fort, tantôt plus distant. Chagall puise par exemple dans les mêmes sources d’inspirations que le néo-primitivisme, à savoir l’art populaire. On retrouve l’expressivité chromatique, les traits simplifiés, certains motifs issus du monde paysan, les enseignes des boutiques, les gravures populaires. Chagall participe en 1912 à l’exposition organisée par Larionov, à ce moment-là, il y a une vraie convergence stylistique. Ensuite, à Paris, on observe une mise en parallèle, Chagall et ses compatriotes découvrent le cubisme. Son retour en Russie en 1914 le rapproche son évolution de celle de Kandinsky, ils montrent alors un intérêt croissant pour leur terre natale. Après la révolution de 1917, Chagall entre en politique, il acquiert des droits citoyens (ce qui n’était pas le cas auparavant car il était juif) et fonde une école d’art populaire. Il y invite des artistes d’avant-garde, promoteurs de l’art abstrait (le couple Puni, Malevitch). Très ouvert, il a l’ambition de créer un vrai centre d’art avec les meilleurs artistes de l’époque. Il rencontre ces artistes, tout en restant attaché à la peinture figurative, et s’empreint de leurs innovations formelles. On trouve des formes géométriques qui vont flotter en apesanteur sur des dessins du début des années 1920, réalisés pour des décors de théâtre.
Les innovations interviennent par touches dans son oeuvre…
Il cite, il se moque, c’est un farceur. Il conçoit des compositions de style un peu cubo-futuriste, mais il en fait une scène ludique et figurative. Quand il invite Malevitch, ce dernier lui vole la vedette : il est l’avenir, incarne le nouvel art. Malevitch fonde un groupe pour le renouveau de l’art, il est très charismatique et séduit les étudiants. Chagall devient très rapidement passéiste, les étudiants lui tournent le dos. Il quitte alors l’école et s’installe à Moscou, où il travaille pour le théâtre juif, crée des panneaux et des décors. Son art n’est alors plus très demandé, l’avant-garde russe est passée du côté du constructivisme, se dirige vers un art plus utilitaire. Ce n’est plus la peinture de chevalet mais un art qui travaille sur le matériau, sur la fusion de l’art et la vie, sur la productivité, les arts appliqués. Chagall de son côté a toujours gardé cette foi dans la force poétique de la peinture, dans la narration et le motif. Les concepts théoriques ne l’intéressent pas. Il adore le théâtre, et organise ses toiles comme des mises en scène. Très proche du monde de la scène, il fréquente des comédiens et acrobates. En 1922, il décore les salles du Théâtre juif, ce qui marque l’apogée et le chant du cygne de son rapport avec l’avant-garde russe. Il quitte la Russie pour Berlin, puis Paris.
Chagall et l’avant-garde russe
Jusqu’au 13 juin 2011 au Musée de Grenoble.
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