Voyage au bout de l'été

Mais non, la saison culturelle n’est pas terminée ! La preuve avec deux expositions d’été d’une tenue fort honorable : êtres hybrides à la galerie Zigzag et abstractions de montagne au musée Géo-Charles. Laetitia Giry

Deux univers clos s’enrichissant chacun de manière intrinsèque, indépendamment des réseaux qui s’élaborent naturellement autour d’un fait artistique : voilà le seul point commun que l’on pourra trouver entre « Mutatis mutandis » et « Du privilège de la verticalité ». Mise à part peut-être l’allure pompeuse de leurs titres, apparence trompeuse qui, dans un cas comme dans l’autre, pourrait faire fuir le visiteur peu assuré. Une fuite dommageable car les artistes exposés ont la qualité – précieuse mais pas si évidente – de saisir l’œil pour le guider dans des méandres intimes où l’impression sensible vient nourrir la réflexion, laissant la raison prendre le relais dans le silence malicieux de la collaboration discrète de l’œil et de l’esprit.D’éther et de peaux
La galerie Zig Zag est bien placée : dans le centre de Grenoble au bout de la Grand rue, quand celle-ci devient la place Saint-André. Souvent, les passants se penchent sur la baie vitrée, curieux, mais peu d’entre eux osent pousser la lourde porte. Ce qu’il faudra pourtant faire pour apprécier les œuvres de Cyril Berthet exposées en ce moment, et mieux s’immerger dans la troublante toile qu’elles tissent dans cet espace. Pour justifier l’anarchie hagarde de ses sculptures – des dodos à l’apparence de bébés sans bras, fœtus ayant déjà goûté l’enfer de la prison terrestre ; ou un moulage de son propre corps, blanc et sans tête – l’artiste évoque « la nécessité de renaître de nos cendres pour transcender notre nature, pour accéder à l’éther, ce non-lieu ». Le moulage, sa mue, représente le faune disparu (motif de fusion entre l’homme et sa part animale traité auparavant) : en suspension, elle prend son envol symbolique, se structure dans une élévation toute spirituelle. Une thématique galvaudée mais qui reprend chair ici dans des matériaux pleins, présents, des vestiges du vivant dont témoigne l’une des photos de Laurent Giranthon : la mue y apparaît en marche, spectre matérialisé sur la surface du papier. Chaque œuvre manifeste un désir d’extraction (comme la Chrysalis ci-dessus), la force vive et féroce de l’humain tel qu’il se délie des chaînes que la société lui impose, exprimant le « malaise dans la culture » freudien, celui qui décrit le regret inconscient de l’homme social ayant perdu son être embrassant tout, évoluant en groupe sans pouvoir se dissocier de ce sentiment initial. Et après ? L’éther, sans doute.De lignes et de peinture
Au musée Géo-Charles, la sérénité des peintures de Jean-Marc Rochette relève plus du pragmatisme pictural, de la liberté de mouvement du peintre profitant d’un format monumental pour s’épanouir (très approximativement deux mètres sur deux). Force est d’admettre toutefois que les tableaux inspirés des montagnes, sujet principal de l’exposition, déçoivent par leur absence de réel bouleversement formel, par leur manque d’énergie et de rayonnement, leur froideur mimétique, minérale. Ceux montrés à l’étage balaient cependant toute appréhension : « Le plateau » et son bleu pétillant, matière habitée, possédée, Le mûrier dont le geste et la couleur fusent de concert, tranchant l’espace en toute insouciance. Des œuvres dignes représentantes de la force puissante de l’abstraction, quand elle se fait le vide constituant à la base de ses primes théories. L’exposition est aimable ainsi non pour ses promesses, mais bien plutôt pour ses beautés ignorées : dans le déploiement d’un néant plein, d’un point contenant tout. Et la boucle de se boucler ainsi : quand la nature de l’homme – son instinct – perd son monopole, son geste culturel le gagne en plein.Mutatis mutandis
Jusqu'au 21 septembre à la galerie Zig Zag (Grenoble)
Du privilège de la verticalité
Jusqu’au 18 décembre au musée Géo-Charles (Echirolles)

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