Bouquet royal

théâtre / Harpagon interprété par Michel Bouquet : mis en scène par Georges Werler, voici un Avare des plus généreux. Nikita Malliarakis

Une grande œuvre appelle de grands interprètes. Une symphonie de Beethoven, interprétée au triangle, perdra de son éclat : à l’opposé, certains artistes sont capables de rendre vivante la récitation du bottin téléphonique. Michel Bouquet est indéniablement de ceux-là : incarnant Harpagon sous la mise en scène de Georges Werler, l’acteur réalise sans doute l’une de ses plus belles créations. Car c’est bien de création qu’il faut parler dans l’art de Michel Bouquet pour construire un personnage : tout à la fois frêle et étrangement robuste, la voix sculptée et polie par une rigueur délicieusement austère, le comédien incarne un Harpagon saisissant, simultanément odieux et attendrissant. La pingrerie se fait poésie, le texte de Molière retrouve une musicalité fraîche et métallique exaltant sa drôlerie et son cynisme profonds. Pour Georges Werler, la morale que veut développer Molière est avant tout celle de la jeunesse : si Harpagon est la figure du vieillard confit dans ses préjugés, certitudes et obsessions, les jeunes comédiens lui faisant face sont les figures lumineuses d’une pièce dont l’apparente noirceur laisse passer un joyeux et salutaire optimisme. Le classique transcendéSans doute le spectacle pourra-t-il être efficacement résumé par son affiche : les deux mains d’Harpagon, sur fond noir, déversant face au public une cascade de pièces d’or. L’avare laisse échapper son trésor, comme sa jeunesse en fuite. Le paradoxe de l’œuvre de Molière est là : cette parabole sur la pingrerie n’en est pas moins un merveilleux cadeau fait aux comédiens devant la jouer et au public y assistant. Michel Bouquet, dont le talent se maintient intolérablement au zénith depuis des lustres, trouve dans le rôle d’Harpagon son expression idéale. Oppressif et vulnérable, sec et vibrant, celui qui fut Javert au cinéma nous offre une nouvelle variation sur l’odieux avec la composition d’un merveilleux personnage bouffon et terrifiant, figure de commedia dell’arte et allégorie de la banalité du mal. Son Avare amuse, effraie et fascine : soutenu par des partenaires à la hauteur et une mise en scène au cordeau, l’acteur est au sommet, jusqu’à en devenir vertigineux. Harpagon est là et, contre toute attente, il nous donne tout, jusqu’à en faire venir les larmes aux yeux, de rire, d’angoisse et de gratitude.L’AVARE, Mise en scène de Georges WerlerLe 25 novembre à 20h30, au Grand Angle (Voiron)

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