James Loup : « Les clips donnent une autre lecture et une autre dimension à la musique »

James Loup, de son vrai prénom Antoine, est un rappeur lyonnais de 25 ans. Né à Paris, il déménage dans la Capitale des Gaules à 15 ans pour suivre l’option cinéma au lycée. Son sujet de prédilection : la réalisation. Il s’intéresse au rap vers ses 17 ans, sans pour autant abandonner sa passion pour la création de clips qui est son atout : des clips scénarisés, de bonne qualité et réalisés avec minutie. Après différents projets sortis entre 2019 et 2022, il revient avec son EP Full Option en mai 2023 et deux nouveaux clips. Influencé par les plus grands (Nekfeu, Népal, Disiz), James Loup se confie sur l’importance des clips et son avenir en tant que rappeur. 

Quel est ton parcours de rappeur ?  

James Loup : J’ai commencé à rapper pour imiter ce que j’écoutais : Nekfeu, 1995, la référence standard. Après je me suis pas mal mis à Disiz, Népal et Booba. J’avais un ami en internat qui m’a fait écouter tout le rap. Il y a eu d'abord le cinéma, puis la musique et maintenant il y a les deux. Quand j’ai commencé vraiment à me mettre dans le son, je me suis dit : il y a les clips et l’image j’en fais depuis toujours. Ça a été une fusion assez folle et toujours actuelle. Je joue avec les deux : avec l’image et avec la musique sans jamais mordre l’une sur l’autre. Il faut garder à l'esprit que c’est de la musique, c’est censé être écouté, et ça a plus de chance d’être écouté grâce au visuel. J’ai commencé ma carrière de rappeur avec mes deux meilleurs potes de l’époque. On a créé un petit groupe dont je tairai le nom pour mon bien (rires). On a commencé à Perrache, on a sorti un album, j’étais ultra déterminé. J’ai rencontré plein d’autres mecs qui rappaient, dans la rue, à des soirées. On a monté un collectif (Narcollectif, NDLR). On a fait quelques concerts et quelques clips. Mais c’était assez compliqué, j’étais devant mais aussi derrière la caméra. Il fallait que je donne la caméra à mon pote et j’étais plus concentré sur "est-ce qu’il filme bien ?", que sur ce que je faisais devant la caméra. J’avais un peu cette dualité de postes qui m’a légèrement bridée. Jusqu’au jour où chaque personne du groupe voulait faire son truc de son côté. On s’est tous mis en solo. Là, j’ai commencé à déléguer les réalisations de clips. Maintenant, j’ai sorti plus de dix clips sous James Loup, et c’est une co-réalisation avec mon manager Luc Méneret. 

Tu as sorti le projet Je veux en 2019, puis 3 EPs d’affilée : Bobine, Vol. 1, Bobine Vol. 2 et Full Option, à quand le projet album ?

J’ai ce truc un peu qui rend l’album comme un sanctuaire hyper symbolique et j’ai envie de me dire que je n’en ai toujours pas fait. À chaque fois, c’est des essais : des tapes, des EPs, mais je garde le mot album pour quelque chose de plus conséquent et plus produit avec plus d’argent et de temps. Le premier projet est Je veux, c’était un peu ce truc de choix, d'autodidacte, de ne pas faire d’études. Je n’ai pas fait d’études après mon bac tellement j’ai été happé par la musique, les clips. J’ai mis du temps à faire le premier projet, j’avais 21 ans et donc entre temps c’était collectif, groupe, recherche de soi pour aboutir sur ce projet que j’ai enregistré en deux après-midis. Ça n’a pas du tout percé ni buzzé mais le peu de retours que j’ai eu m’ont donné assez de force pour en faire un deuxième, et un troisième et un quatrième récemment. Pour la suite, j’ai eu la chance de ne pas avoir de contraintes ni d’attentes. Donc la seule personne qui attend vraiment ce que je vais sortir, c'est moi. J’aimerai que ça marche plus pour avoir plus d’impact sur ce que je fais. Je veux faire de la musique. 

J’ai l'impression que ce qui est aussi très important pour toi c’est la réalisation de tes clips. Ils sont scénarisés, réalisés avec soin. Pourquoi faire autant d’efforts ? Qu’est-ce que ça représente pour toi un clip ?

Mon premier rapport artistique est lié à l’image. J’ai découvert, quand j’avais 8 ans, qu’en prenant une photo d’un jouet, et en déplaçant le jouet et en reprenant une photo, le jouet pouvait bouger tout seul. J’ai découvert qu’on pouvait créer quelque chose dans un écran. Ça m’a marqué toute ma vie, encore aujourd’hui quand je fais un clip. La relation que j’ai avec les clips c'est ce truc-là, avoir l’impression de ne plus m’exprimer en musique de manière introspective et j’ai l’impression de donner plus de chance à cette expression avec les clips qui donnent une autre lecture et une autre dimension à la musique. C’est Rilès qui dit : « Les gens écoutent avec les yeux maintenant. » Et c’est vrai, les morceaux que je clippe en général sont les plus écoutés, ça rend le truc plus accessible. Quand on écrit le clip avec Luc, il y a trois dimensions : la dimension du morceau, de l’image et la dimension des deux qui donne une troisième façon de raconter. C’est sur ce fil-là qu’on essaye de se positionner à chaque fois. Ne pas écraser l’un ou l’autre. Les deux se servent. 

Est-ce que tu peux expliquer de A à Z la réalisation d’un clip : l’idée, le scénario, la réal', le financement ? 

Je vais prendre l’exemple de Téméchémoa, l'avant-dernier qui est sorti. Ça part toujours de Luc et moi. On choisit le son et on se demande lequel mérite le plus d’être clippé. Tout part de l’écriture, on ne se bride sur rien, on ne se limite sur rien. Quand on écrit, c'est très sensoriel : je vois ça, je vois cette couleur-là, tiens je vois quelqu’un qui fait du roller, et tiens ça répond à une parole. Une fois qu’on est sûrs de nous, on le rédige bien pour avoir un scénario classique de court-métrage. C’est notre support pour embarquer des gens avec nous. Ensuite on cherche l’argent, en premier d’ailleurs (rires). Il y a plein de moyens : de ma poche, subventions, … c’est une espèce de pari sur cette histoire d’argent. On y croit pour plus tard, peut-être qu’un jour il y aura des gens qui nous donneront de l’argent pour le faire. J’essaye de vendre des trucs qui sortent de l’ordinaire : découper une voiture, aller en Serbie, faire un décor de casino, j’essaye de toujours trouver le truc en plus. Mais derrière, ça implique des mois de préparation. Pour Téméchémoa, c’était six mois, des galères sans nom, mais des vrais tournages où on s’éclate. Moi je déprime à chaque fin de tournage. 

Tu as posté récemment sur ton compte Instagram ta vision face aux chiffres, de vues, de stream, tu en parles aussi dans Téméchémoa : “Le clip sort, on communiquera, si ça perce pas, on s’ra juste un p’tit peu vexé”. Comment appréhendes-tu cette course aux chiffres ?

On pourrait en parler des heures mais je vais me limiter. Téméchémoa était le premier single du nouveau projet Full Option et c’était un truc assez conscient de se dire "ça ne va peut-être pas marcher, ne vous inquiétez pas on sera un peu vexé". Téméchémoa, je l’ai enregistrée il y un an, on l’a mixé dans tous les sens, on a vraiment voulu faire un truc propre, tu le sors et c’est impossible que ce soit proportionnel à ce qu’on a mis. Les attentes sont tellement énormes. Il faut se détacher de ça et se dire : pourquoi tu l’as fait ? Tu veux de la reconnaissance ou tu veux kiffer ? Forcément on a envie de faire des stats, que notre truc soit vu. Je me suis tatoué EGO sur la nuque pour ce truc-là : j’ai envie d’exister mais ce n’est pas un intérêt personnel, il y a l’envie que ce que l’on fait soit vu. Cette espèce d'énorme réflexion entre : on ne va pas s’embêter parce qu’on va faire 100 vues ou non on kiffe. Nekfeu dit : « C'est même pas qu'on t'aimait pas, c'est juste qu'on t'ignorait »,  (Humanoïde, dans Cyborg, NDLR) et c’est un peu le pire. On fait tellement, que moi j’ai la certitude qu’un jour quelque chose sera vu parce que ce sera trop. Il y aura trop de clips, trop de morceaux, trop de trucs où on a mis trop d’énergie que ça doit prendre. Je crois en notre travail. Il faut accepter de se détacher des chiffres et juste de se dire : tu aurais fait quoi ? Des études de commerce ? Un 35h dans un restaurant pour avoir plus d’argent ? Mais est-ce que j’aurai autant aimé ? Non. 

Tu as sorti Full Option en mai, quels ont été les retours ?

Des super retours, il ne faut pas que j’oublie. Pas autant que j’en rêverai, mais mille fois plus que ce que j’aurai pu imaginer. C’est ce paradoxe. Mais quand tu as un million de personnes qui te suivent, je pense que ce n’est jamais assez, il faut vraiment relativiser et prendre beaucoup de distances. C’est dangereux. J’essaye aussi de me dire qu’il y a James Loup et qu’il y a moi, Antoine. Si tu prends trop personnellement ce projet, tu es crispé et tu veux t’en sortir à tout prix. J’essaye de me dire que personne ne me doit rien. Quand tu as cette réflexion-là, tu ne peux en vouloir à personne. Mais ça a mis beaucoup de temps à venir dans ma tête. Quand tu as très envie qu’un truc marche, c’est dur de se dire que ce n’est pas pour tout de suite. En général, tu craques et tu arrêtes ou tu fais quelque chose que tu n’aimes pas pour que ça plaise. Je pense qu’il faut s’écouter et rester branché avec soi. 

Dans Building 86, tu rappes “J’reste à Lyon, j’attends que mon blase fasse le tour de la France”. Justement, la scène rap lyonnaise n’est pas aussi reconnue que celle de Paris ou Marseille, ça ne te freine pas de rester à Lyon ? 

Je vais à Paris l’année prochaine donc oui j’ai menti (rires). Je me sens un peu bridé à Lyon. J'ai l'impression qu’il y a cet esprit à Lyon qui est : on est tous ensemble, on y va. Mais je crois que ce n’est pas trop comme ça. Je pense qu’il faut vachement penser à soi et à son art sauf si tu as cet esprit de collectif. C’est ma vision des choses qui s’oppose à pas mal de structures à Lyon. Il n’y a pas beaucoup de références qui stimulent, qui tirent vers le haut. Ça fait dix ans que je suis à Lyon, je connais à peu près tous les programmateurs, je vois à peu près comment ça se passe, les producteurs, l’énergie, les groupes. Je connais à peu près tout le monde, de vue ou personnellement. Je me sens moins nourri. C’est mon village ici, je le connais par cœur. Je pense que la ville ne peut rien pour toi si tu n’as pas dégagé assez de visibilité ou d’énergie pour faire percer Lyon. Je pense qu’il faut d’abord se faire percer soi avant de faire percer la ville. Lyon ne fera pas grand-chose de plus pour moi, malheureusement. Mais je l’aime beaucoup. Je pense que j’ai besoin, en allant à Paris, de nouveau. Je n’ai pas d'attentes particulières envers Paris si ce n’est de tourner une page, de me remettre dans la découverte de quelque chose. J’ai besoin de me nourrir en paysages, en noms de rues, en endroits, en personnes à rencontrer. À Paris, je vais m’installer, je vais chercher un boulot en cuisine et je vais faire du son, je veux juste faire de la musique. Je vais continuer à faire ce que je fais ici. Je verrai ce que la ville me raconte. Je n’ai pas envie de provoquer ma chance au bout de deux semaines. 

Quels sont tes futurs projets ?

Je rentre d’un tournage du prochain film de Bruno Podalydès. J’ai eu un petit rôle dedans avec Daniel Auteuil et Sandrine Kiberlain. Il s’appelle La Petite Vadrouille et sort dans un an. J’avais le contact de Bruno car je voulais avoir son avis sur un documentaire que j’ai réalisé sur mon pote Frs Taga, et j’ai glissé des clips au passage. Dans le film, je suis un slameur, j’ai des répliques avec Daniel Auteuil. J’ai bien aimé. J’aimerais bien faire un film un jour. Côté musique, je vais peut-être sortir un son pour marquer la transition entre Lyon et Paris avec un clip dans un Ouigo pour Paris, à l’arrache pour le coup. Dans l’esprit j’aimerais faire ça mais ça se trouve ça ne sortira jamais. Sinon, c’est musique, musique, musique. 

Qu’est-ce que tu veux devenir dans le monde du rap ? 

Quelque chose de nouveau. J’ai envie de rester vrai, j’ai envie d’apporter un message : la liberté et fais ce que tu aimes. Un peu comme les sons que j'entendais quand j’ai commencé. Mais, oui, j’aimerais bien faire un truc nouveau, par l’image ou par autre chose. Créer un truc, mais je ne sais pas quoi. 

 

James Loup, Full Option, sur les plateformes de streaming

 

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