Le mal du mâle
Le cinéma va mal et c'est le mâle qui trinque : apathique, lâche, largué, vieillissant, il semble se tenir à la lisière du monde.CC
S'il y a un mérite à reconnaître au dernier loupé de Wim Wenders, Don't come knocking, c'est sa capacité à coller à l'ambiance cinématographique générale, à inventer un personnage parfaitement raccord avec ceux qui encombrent les écrans depuis plus d'un an : un mâle en pleine crise, revenu de tout et surtout de lui-même, sans véritable avenir et dont le passé est plus un fardeau qu'une gloire fanée. Des hommes à la dérive, dont la virilité et le courage ont fondu au soleil de vies passées trop vite, on en a vu des tas ces derniers mois. À commencer par l'inoxydable Bill Murray, qui joue toujours ce rôle-là depuis Rushmore de Wes Anderson. Murray, clown autrefois joyeux dans des pitreries post-Saturday night live, est devenu triste, de plus en plus triste. Lost in translation chargeait la mule en en faisant un acteur has been, un mari pleutre et un amant impossible. Mais Sofia Coppola lui donnait l'opportunité de faire de toute cette déprime-là quelque chose de flamboyant, beautiful loser avec de beaux restes malgré les cernes et les kilos en trop. Ce que Jarmusch, plus vache, ne lui autorise guère dans Broken Flowers ; la splendeur de Murray n'y est qu'une évocation lointaine qu'il faut croire sur parole, car dans le présent du film, il ne fait que traîner en jogging, conduire une voiture, rencontrer des femmes qui le regardent comme un fantôme... Rien, sinon la perspective de la mort entrevue lors d'une visite au cimetière, ne viendra troubler le masque du personnage, comme indifférent aux événements autour de lui. Plus trop là , déjà .Déroute de la birouteLe mâle est mal, c'est sûr. Et il n'y a pas que les cinéastes indépendants pour le souligner... Depuis Le Jour d'après, blockbuster très moyen mais qui était surtout le premier film catastrophe où les "héros" passaient leur temps à pleurer leur mère sans espoir de sauver un monde condamné, le cinéma "commercial" s'acharne à montrer des hommes faibles face aux événements. On pense bien sûr à Tom Cruise dans La Guerre des mondes, incapable du moindre acte de courage ; mais même le Batman de Christopher Nolan n'exhibait ses muscles que par convention, tant lui aussi paraissait rongé par quelque tourment qui n'était pas qu'une facilité scénaristique (même les super-héros ont le vague-à -l'âme...) mais plus profondément un vrai déficit de présence au monde. L'héroïsme est donc de plus en plus persona non grata dans les films américains. Signe des temps (de guerre), mais aussi retour d'une époque (les années 70) où l'anti-héros régnait en non-maître pendant qu'au Vietnam, les soldats se faisaient tirer comme des lapins. Quoique... À l'époque, Hollywood ouvrait ses écrans aux marginaux, aux laissés-pour-compte, aux déclassés ; aujourd'hui, ce sont plutôt les figures emblématiques des années 80 (l'homme d'action, le bon père de famille, le séducteur irrésistible, le cow-boy) qui sont dépouillées de leur oripeaux. Des héros, peut-être, mais surpris en flagrant délit de lâcheté. Des mâles mous et pendants, en quelque sorte...