Bédé, Dévé et road movie

Mercredi 31 août 2005

L'été au cinéma, ça part dans tous les sens : blockbusters efficaces, contes pour enfants par un cinéaste pour adultes, film de peur qui fait peur et grande reprise d'un film culte.Luc Hernandez & Christophe Chabert

Après Sin city et Batman begins, adapté des comics de Frank Miller, et en attendant à l'automne le grand film de Cronenberg, A history of violence, adapté de la BD de John Wagner et Vince Locke, la bande dessinée continue d'envahir les grands écrans cet été, avec deux beaux films aux antipodes l'un de l'autre. D'abord Les 4 fantastiques qui restituent joyeusement les héros d'antan de Jack Kirby et Stan Lee (qui fait une apparition pour l'occasion). Le mélange d'ancien et de nouveau, d'anticipation et de délicieuse ringardise fonctionne à plein dans des décors (signés de Bill Boes, décorateur chez Burton) juste assez tocs pour raviver notre soif de bottes en caoutchouc futuristes et suffisamment impressionnants pour permettre le spectaculaire (la reconstitution du pont de Brooklyn dans une scène d'action pas piquée des hannetons vaut à elle seule le détour). Super blockbuster de l'été, Les 4 fantastiques n'a pas non plus laissé au placard de la grosse production la psychologie, particulièrement névrotique, des quatre personnages (l'homme élastique, la Chose, la Torche humaine et la femme invisible). Leur don de super-héros est toujours un fardeau et avoir des super-pouvoirs veut dire aussi affronter solitude et marginalité. La solitude, c'est aussi ce que devra affronter le jeune Charly à la mort de son père dans L'Avion. Après L'Ennui, Roberto Succo et Feux rouges, Cédric Kahn défriche une nouvelle fois des terres inconnues du cinéma français. Conte pour enfants délicatement endeuillé, L'Avion adapte la BD de Magda-Lapière avec une luminosité qui fait plaisir à voir. Toujours sur la corde raide entre réalisme (dont il use un peu trop ici) et merveilleux (avec clins d'œil explicites au ET de Steven Spielberg), ce mélo onirique et contenu centré autour d'un objet magique (un avion mystérieusement blanc et inaltérable, comme pour mieux accueillir toutes les émotions de l'enfant) ne manquera pas d'émouvoir petites et grands. En revanche, il est vivement conseillé de réserver la vision de Marebito aux adultes avertis (ou en tout cas aux plus de 16 ans). Car si l'objectif de son personnage principal, vidéaste coincé et névrotique, est de filmer (et de ressentir) l'expérience de la peur terminale, Takashi Shimizu n'est pas loin de faire vivre la même chose au spectateur, terrorisé devant l'atmosphère oppressante du film. Descente dans les égouts de Tokyo où rodent clochards dévastés, fantôme philosophe et vampires squelettiques, pour finir sur la vision fantastique d'une cité disparue habitée par une nymphe nue et attachée qui se révèlera, une fois ramenée à la maison, très bonne suceuse... de sang ! Le reste est à l'unisson : graduellement éprouvant et cauchemardesque, jusqu'au final où la folie se propage comme un virus destructeur à l'intérieur de l'écran. Ou plutôt des écrans, car Shimizu réussit une pertinente utilisation de la DV, transformant l'urgence du tournage (8 jours) en parti-pris esthétique et réflexion théorique sur la puissance de l'image. Pas mal du tout, en fait...Macadam à double tranchantPour conclure, impossible de passer sous silence la ressortie dans les salles d'un film pour le moins mythique : Macadam à deux voies de Monte Hellman (à partir du 24 août au CNP). Comme Wanda il y a deux ans, cette reprise nécessaire est à double tranchant. Tourné en 1971 par un cinéaste qui avait déjà à son actif deux westerns contemplatifs cultes, il s'attache à l'errance sur les routes américaines de deux marginaux dont le seul et unique centre d'intérêt est leur Chevrolet trafiquée pour battre des records de vitesse. En chemin, ils rencontrent une jeune hippie nonchalante et un quadra mythomane qui leur lance un défi avec sa GTO rutilante. Dans un cinémascope splendide, Hellman crée un présent sans début ni fin (à la dernière image, la pellicule se met à brûler, comme s'il fallait artificiellement arrêter le film), où les personnages n'ont ni nom, ni passé (et probablement guère d'avenir). Les dialogues ne "signifient" rien (sinon pour un vrai fan hardcore de Turbo), aucune psychologie ne vient interférer dans cette course sans but, le film évoluant au fil de ses rencontres (parfois superbes, notamment avec la vieille dame et sa petite fille qui se rendent au cimetière voisin). Plus étrange, à moins de se lancer dans une exégèse capilotractée, on n'y décèle même pas l'envie de capter l'air du temps politique qui commençait à souffler sur les Etats-Unis à l'époque. C'est d'ailleurs ici que le film n'est pas totalement à la hauteur de sa réputation : plus qu'un prolongement d'Easy Rider, Macadam à deux voies en serait le pendant maniériste et "antonionien", tout comme Wanda n'était que le digest épuré et féministe du cinéma de Cassavetes. On peut préférer à la poésie du vide de Hellman le parcours ô combien plus trépidant de Pacino et Hackman dans L'Épouvantail de Jerry Schatzberg, film plus acclamé à sa sortie mais aujourd'hui curieusement oublié des cinéphiles.