La Nuit nous appartient

Mercredi 5 décembre 2007

Des flics et des voyous dans le New York des années 80, des pères et des fils qui font le va-et-vient entre la loi et le milieu, et un cinéaste, James Gray, qui enfonce le clou de la tragédie criminelle.Christophe Chabert

Avec trois films en quinze ans, James Gray a appris à se faire désirer par les cinéphiles. D'où cette étrange sensation quand on découvre La Nuit nous appartient : voilà un type qui met des plombes pour refaire, peu ou prou, toujours le même film, chaque œuvre creusant un aspect laissé dans l'ombre de la précédente. Gray tourne avec obstination autour du même pot depuis Little Odessa : le poids de la famille, la loi du milieu et la loi tout court. La Nuit nous appartient montre ainsi comment deux frères se sont retrouvés de chaque côté de la barrière : l'un (Mark Wahlberg) est devenu flic comme son père (Robert Duvall), l'autre (Joaquin Phoenix) s'est acoquiné avec la petite pègre new-yorkaise qui contrôle les boîtes de nuit de la ville. La question est : lequel des deux possède la nuit ("We own the night" est la devise de la police de New York) ? Et surtout, lequel a, dans le fond, la vie la plus merdique ? Tout dépend du rapport que chacun entretient avec le sang qui coule dans ses veines... Le film se charge alors d'assurer un étrange transfert d'identité entre les deux frangins, au gré d'une intrigue policière assez prévisible, mais scandée par des moments de cinéma électrisants.De père en flicsCar James Gray n'hésite pas à forcer le destin de ses protagonistes, notamment quand il s'agit d'envoyer à l'hosto, ou carrément ad patres, les figures clés de son drame familial pour accélérer la conversion du frère "égaré" à la raison policière. Celui-ci reprend alors le flambeau paternel tout en bazardant un père de substitution soudain infréquentable. Cela pourrait être balourd, et même craignos, si James Gray ne se posait sans arrêt des vraies questions de mise en scène, et conservait tout du long une haute estime pour ses personnages. Ni noirs, ni blancs, ils sont pris dans la grisaille d'existences insatisfaites et poisseuses dont ils n'arrivent jamais tout à fait à s'extirper. C'est ainsi qu'il faut lire la scène, centrale et spectaculaire, de la poursuite en voitures sous une pluie battante : comme Cronenberg dans Les Promesses de l'ombre, Gray joue sur plusieurs niveaux, celui de l'action époustouflante (la séquence est filmée, montée et sonorisée en virtuose) et celui de la symbolique de son récit. Toute la scène est vue et vécue du point de vue de Phoenix, tour à tour victime et justicier, spectateur et acteur, impuissant et implacable. Le film n'est pas au niveau de ce morceau d'anthologie, mais il semble aimanté vers ce moment-clé, où tout se joue dans une image que la rétine a bien du mal à effacer.La Nuit nous appartientde James Gray (ÉU, 1h54) avec Joaquin Phoenix, Mark Wahlberg...