La mort qui sourit

Ces « lumières » jetées au Musée de la Résistance sur les « fragments obscurs » de notre belliqueuse humanité fascinent autant qu’elles dépriment : car les gravures de Paul Hickin nous rappellent que la défaite de l’esprit reste une encombrante composante de nos sociétés. Laetitia Giry

Obsédé par les différentes guerres et les immondices que ces dernières trainent naturellement, Paul Hickin s’acharne, série après série, à redessiner les images, miettes des différents carnages et mémoire objective. Ses gravures se déploient comme autant de miniatures délicates et horrifiques dans ce qu’elles ont comme ancrage réaliste, amplifiant à la fois l’effet des médias et l’horreur de l’objet représenté. Dans la série « Prométhée, autoportrait avec casque de guerre », le flux de traits crée une houle agitée faite de chair en désintégration, noire et charbon mais bien vivante. La vie combat sans cesse la mort avec ferveur. « Tout Hollywood se met en branle contre Hitler. Le sang devient sperme. L’angoisse morve légère. » Ces propos de Bertolt Brecht font référence à la photo de l’actrice Jane Wyman – posant le coude sur une coupe militaire, avec décolleté généreux et médailles disposées devant le sexe. Paul Hickin, sensible aux images et à leur potentielle puissance de controverse, reconnaît lui aussi avoir ressenti un choc devant cette fameuse photo, reproduite dans cette exposition. Car tout cela est, de l’aveu détourné de l’artiste, de l’ordre de la représentation : « souvent, au théâtre, des personnages renvoient à soi-même. C’est l’occasion de se mettre en théâtralisation. » Ce qu’il ne manque pas de mettre en application sur papier, inlassablement.Ténèbres ordinaires
Plus que tout autre, son « Death mask » nous a méchamment saisis : visage troué d’un bois déchiré, crâne sur-humanisé, détruit et flottant, tout en volumes et ondulations. Ou la variation d’une photographie d’un blessé de la première guerre mondiale, sur le mode de la tristesse infinie dans la persistance d’un regard, émanant pourtant d’orbites vides, creux et transpercés. La prégnance d’une fascination non seulement pour la violence, mais aussi pour le sexe – par l’entremise d’un vocabulaire d’images trivial – parcourt l’œuvre exposée, et ce en qualité de contrepoint vital à l’horreur qui la hante. Toute entière, celle-ci appelle à la lutte, soutenue notamment par la voix de l’historien Eric Hobsbawn : « Il faut continuer à dénoncer et combattre l’injustice sociale. Le monde ne guérira pas tout seul. »Lumière sur fragments obscurs. Paul Hickin, œuvres de résistance
Jusqu’au 14 mars.

à lire aussi

derniers articles publiés sur le Petit Bulletin dans la rubrique Expos...

Vendredi 22 avril 2022 Il y a deux ans, on avait découvert le travail de Marion Massip et on avait été plutôt emballés par la poésie qui émane de ses photos du trois fois rien. En effet, (...)
Vendredi 22 avril 2022 Avec l’exposition "Fait main, quand Grenoble gantait le monde" le musée Dauphinois revient sur une aventure locale de prestige international, celle de la ganterie grenobloise. Un parcours remarquable, riche de nombreuses pièces de collection et...
Lundi 28 mars 2022 Formée au Beaux-arts de Kyoto, Martine Rey s’est fait une spécialité de la laque, qu’elle décline de maintes manières ; Pierre Gallais, quant à lui, nourrit (...)
Lundi 28 mars 2022 Ce n’est pas tous les jours que la collection permanente du musée de Grenoble s’enrichit d’une œuvre nouvelle. En l’occurrence, un tableau du XVIIe siècle, signé du trop méconnu Reynaud Levieux, qui a bénéficié pour l’occasion d’un travail...
Mardi 15 mars 2022 Au fusain et à la pierre noire, Séverine Martinez dessine l’enfance. Un style classique et une technique impressionnante, à voir à la 1-10 Galerie, rue Marx-Dormoy à Grenoble.
Vendredi 11 mars 2022 Avec sa série "Gudi Dakar", Mabeye Deme propose une fascinante exploration photographique de la vie nocturne dans les boutiques dakaroises. Un travail remarquable à découvrir à la galerie Ex-Nihilo.
Mardi 15 février 2022 Les amateurs de surréalisme doux pourront éventuellement être séduits par les peintures de Tof Vanmarque exposées à la galerie Hébert. Peuplées de personnages étranges (...)
Mardi 15 février 2022 Autodidacte grenoblois, Nuvish n'a jamais eu jusque-là, dans la cuvette, d'exposition qui lui soit intégralement consacrée. La galerie Alter Art (qui a pour (...)
Mardi 15 février 2022 D’une grande cohérence et formellement très séduisante, la série photographique que Jean-Pierre Saez expose à la galerie Ex Nihilo est le fruit d’une approche conceptuelle qui ne renie pas le plaisir du regard.
Lundi 31 janvier 2022 Intitulée Stencil, une scène engagée, la nouvelle exposition de l’espace Spacejunk réunit des artistes qui ont pour point commun de balancer quelques (...)
Lundi 31 janvier 2022 Avec Yellow Collection, l’espace Vallès ne nous trompe pas sur la marchandise : l’artiste Roland Orépük y expose une série de tableaux dont la géométrie minimale est intégralement construite à partir d’aplats jaunes.
Mardi 18 janvier 2022 Voilà une exposition passionnante pour quiconque s’intéresse un tant soit peu à l’histoire de sa ville et à son urbanisme (tout le monde non ?). Prétextant (...)
Mardi 18 janvier 2022 Tandis que les stations de ski se remplissent (plus ou moins) de touristes, la galerie Alter-Art nous invite à aller voir ce qui se passe en hiver du côté (...)
Mardi 4 janvier 2022 Habitué à coller ses œuvres dans les rues, l’artiste Cobie Cobz expose ses affiches aux messages surprenants à la galerie SpaceJunk. Il se questionne (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X