Rencontre / A l'occasion de son arrivée à la Cinémathèque de Grenoble, on s'est longuement entretenu avec sa nouvelle directrice, Gabriela Trujillo, pour discuter avec elle des orientations qu'elle souhaite donner au lieu. Valorisation des collections, cohérence de la programmation, nécessité d'exigence... On a passé tous les sujets au crible.
On a connu des périodes plus faciles pour prendre la direction d'une cinémathèque : salles de cinéma fermées jusqu'à nouvel ordre, absence de visibilité sur leur réouverture... Ce qui n'empêche pas pour autant Gabriela Trujillo de faire preuve d'ambitions multiples quant à l'orientation de ce lieu bientôt soixantenaire. Au premier rang de ces ambitions, la défense de son patrimoine cinématographique accumulé au fil des années : « La Cinémathèque de Grenoble a bien sûr comme mission la programmation des films, que ce soit en salle Juliet Berto ou hors-les-murs. C'est, en quelque-sorte, la partie émergente de l'iceberg. Mais ce n'est pas la seule ! Elle possède également une collection de films, de livres et d'affiches d'une richesse unique que je souhaite continuer à valoriser, à renforcer et à présenter aux Grenoblois, afin de faire de ce lieu une étape obligée de la vie culturelle grenobloise. Bien sûr, la conservation de ce patrimoine nécessite des ressources, de la place, des moyens de stockage à des températures et niveaux d'humidité adéquats... dont on ne dispose pas. L'idée, c'est de trouver des moyens, y compris financiers, de valoriser les collections et d'attirer l'attention sur la nécessité de bien conserver ces éléments. C'est la mission de toutes les cinémathèques. On doit pouvoir continuer de préserver une partie de l'histoire visuelle de la ville et de la région, mais aussi du pays. Mon but est donc aussi d'inscrire la Cinémathèque de Grenoble dans un panorama national et international, de la rendre plus visible au sein de dispositifs comme la Fédération Internationale des Archives de Films. C'est un lieu conçu avec beaucoup d'amour, mais on ne peut pas vivre juste d'amour et de cinéphilie. »
« Une programmation incarnée »
En ce qui concerne le volet programmation, se pose bien sur la question de la prochaine édition du Festival du Film court en Plein Air, pour l'heure prévu du 29 juin au 3 juillet prochains, dans un contexte toujours incertain. Une édition 2021 à laquelle la directrice « veut croire, dans le respect des consignes sanitaires bien sûr. On a encore une marge d'espoir. C'est un moyen de continuer d'écrire l'histoire du cinéma au présent, ou en train de s'écrire, par le biais d'un dispositif à la fois convivial, populaire et accessible à tous. Et aussi d'encourager les jeunes créateurs, dont les films, s'ils sont sélectionnés, entrent ensuite dans les collections de la Cinémathèque ». Quant au contenu de la programmation tout au long de l'année, si elle compte « poursuivre l'ancrage de la Cinémathèque dans le tissu urbain », la volonté est aussi de maintenir une identité forte par le biais du choix des films projetés. « Je pense que la Cinémathèque possède beaucoup de ressources propres d'un point de vue programmation, et j'aimerais que cette programmation soit incarnée. Ça ne veut pas dire que je vais refuser des festivals ou la participation de partenaires, mais si on n'a pas une vraie cohérence, une vraie direction artistique, cela devient trop anonyme. Je pense qu'il y a un équilibre à trouver entre les apports extérieurs de partenaires et les propositions internes de programmation. C'est le problème des lieux qui ont des écrans et sur lesquels on projette symboliquement beaucoup de choses : tout le monde veut être programmateur. Mais ici, ce n'est pas l'enjeu principal. L'enjeu, très important pour nous, c'est que la Cinémathèque soit reconnaissable, qu'elle incarne un type de programmation, à la fois exigeant parce que ses missions font qu'il faut qu'on maintienne un niveau de qualité, et populaire bien sûr parce qu'il faut que ça soit accessible à tout le monde ».
« Venir découvrir des choses différentes »
Une balance entre exigence et accessibilité dont Gabriela Trujillo a eu l'occasion d'explorer toutes les nuances par le biais de ses précédentes expériences professionnelles : « Il faut faire confiance aux gens et, parfois, les pousser un peu dans leurs retranchements. Je suis contre la complaisance, surtout de la part d'une cinémathèque, et je ne veux pas donner aux spectateurs ce qu'ils ont vu pendant tout le confinement. Je pense qu'on est trop complaisants par rapport à une partie du public, et je pense que si les gens s'ennuient parfois en salles, ce n'est pas forcément grave... En tout cas, je n'ai pas peur de montrer un film qui serait un peu pointu, un peu ennuyeux. C'est mon travail de le faire. Mais il faut aussi accompagner les gens, leur dire « attention, vous risquez de vous ennuyer pendant deux heures mais vous verrez qu'à la fin, vous toucherez au sublime ! » Je crois sincèrement que la cinéphilie est une maladie contagieuse. C'est pour ça que je veux faire confiance aux gens : je ne veux pas me dire « il faut faire attention à ceux qui ne veulent pas que chaque plan dure plus d'une seconde, maintenir tant de décibels pour les garder éveillés... ». Si après deux plans d'un film de Dreyer, par exemple, certains sont choqués, je ne vais pas aller pendre le projectionniste ! La Cinémathèque est un lieu qui peut se permettre ce genre de choses. C'est son rôle ! Évidemment je veux que ce lieu soit fréquenté, mais l'impératif commercial n'est pas le but unique. Autant essayer de proposer aux gens de venir découvrir des choses différentes ».